« HANDICAP : le mot vient de l’anglais hand in cap, la main dans le chapeau ». Pas un mot dans l’amphithéâtre Chaptal de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais). Seulement le son des crayons sur les cahiers et du pianotage sur les ordinateurs portables. Les étudiants suivent attentivement le cours de sciences humaines. Le professeur n’est pas dans la salle mais sur un écran géant. Il n’est pas dans un amphithéâtre voisin mais à 120 kilomètres de là, à l’université de Lille 2.
Cette année, pour la première fois, 85 étudiants boulonnais suivent à distance les cours et les enseignements dirigés (ED) de PCEM1 de la faculté de médecine lilloise. Une première en France. Les 30 heures hebdomadaires de cours magistraux et de travaux dirigés sont retransmises via des écrans reliés à haut débit à l’Institut de formation des soins infirmiers (IFSI) attenant au Centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer.
Envisagée depuis cinq ans et repoussée l’année dernière pour des raisons techniques, cette expérience est une réponse à l’augmentation des bataillons de PCEM1 à Lille 2. Avec 3 018 inscrits, la faculté nordiste accueille le plus gros effectif d’étudiants en première année de médecine, ce qui pose des difficultés logistiques.
Un défi technique relevé.
Le projet est dans les cartons depuis 2004. « L’université de Lille était frileuse au début, confie le Pr Jean-Paul Francke, doyen de Lille. Elle avait peur qu’une deuxième fac de médecine se crée, indépendante ».
Il n’en est rien. Les étudiants boulonnais sont soumis aux mêmes examens et au même numerus clausus que leurs collègues lillois. En cas de réussite, ils rejoindront Lille l’année suivante pour poursuivre leur cursus.
« Cela fait des années que nous gérons des grandes masses et la vidéoconférence est en place à Lille depuis plus de trente ans, commente le Dr Jean-Bernard Savary, responsable du 1er cycle de médecine à Lille 2. Des étudiants boulonnais ont hésité à s’inscrire ici cette année et ont préféré aller à Lille. Ils ne le feront plus et il faut s’attendre à ce que les effectifs augmentent fortement à Boulogne-sur-Mer l’an prochain. Tout est prévu pour accueillir 150 personnes ».
L’expérience fonctionne pour l’instant sans fausse note. « Nous avons eu très peu de soucis techniques, indique Emmanuel Rault, recruté pour s’assurer du bon déroulement des opérations. Il y a eu une coupure de son le premier jour, vite résolue. On a rediffusé à la fin les deux premières minutes du cours, car tous sont sauvegardés en double exemplaire ». Tout a été prévu. Si les étudiants rencontraient un problème technique dans une salle, ils seraient basculés dans un deuxième amphithéâtre et dans la salle d’enseignement dirigé.
La diffusion des cours à distance n’empêche pas l’interactivité. « Dès le premier ED, le professeur lillois a demandé si ça se passait bien à Boulogne et les étudiants ont pu lui poser des questions », explique Emmanuel Rault. À l’avenir quelques ED seront diffusés à Lille depuis Boulogne « pour montrer que les échanges marchent dans les deux sens », promet le Pr Francke.
Les étudiants boulonnais, qui devaient initialement passer les examens à Lille, plancheront finalement à Boulogne-sur-Mer. Le doyen a pris sa décision. « C’était plus simple pour tout le monde, explique Jean-Paul Francke. Cela évitera aux étudiants de prendre une chambre d’hôtel la veille des épreuves. Et puis l’IFSI dispose d’un amphithéâtre de taille suffisante pour accueillir un examen [un rang sur deux doit être occupé, avec des places libres entre les candidats, N.D.L.R.] ».
Ambiance moins cacophonique.
Comparée à la foire d’empoigne à laquelle s’adonnent les étudiants à Lille, l’ambiance de Boulogne-sur-Mer est feutrée, apaisante. Jérémie, redoublant en provenance de Lille, est ravi de faire partie des 85 premiers élus. « Ici, il n’y a pas de doublants qui font du bruit et les tables sont deux fois plus grandes qu’à Lille, « Ici, il n’y a pas de doublants qui font du bruit et les tables sont deux fois plus grandes qu’à Lille, explique le jeune homme, tout sourire. On se connaît presque tous, il y a une plus grande solidarité. Quand quelqu’un a loupé un cours, ici on lui donne ». Céline est aussi satisfaite des « bonnes conditions de travail ». Les étudiants disposent d’une petite bibliothèque et d’un local équipé de 12 ordinateurs avec connexion à Internet haut débit. « L’amphi est agréable, on est bien entouré et puis on peut arriver juste deux minutes avant le début du cours. On a de la place et on entend bien », commente l’habitante de la Côte d’Opale, ravie d’économiser un loyer. Même le président de la CME du CH de Boulogne, le Dr Stéphane Chochois, se réjouit du « début de l’aventure, pas simple à mettre en place ». « C’est gratifiant que la faculté nous fasse confiance pour héberger cet enseignement à distance, dit-il. C’est reconnaître notre qualité. Nous espérons que ces jeunes reviendront en stage chez nous. »
L’expérience boulonnaise sera évidemment scrutée attentivement . « Nous allons voir comment ça se passe à Boulogne, conclut le Pr Francke. Nous aimerions développer ce concept à Valenciennes, cela concernerait environ 300 étudiants et peut-être dans quelques années à Lens ». La mise en place à la prochaine rentrée de la L1 Santé, qui verra l’intégration des étudiants en pharmacie aux promotions d’étudiants en médecine, maïeutique et odontologie, va encore gonfler les effectifs. Un accueil des étudiants dans plusieurs pôles ne sera donc pas superflu.
(1) Des cours magistraux sont dispensés depuis plusieurs années en visioconférence entre l'université des Antilles et de la Guyane et celle de
Bordeaux.
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