LE QUOTIDIEN : Après « Hippocrate » (2014) autour de l'internat et « Médecin de campagne » (2016) sur l'exercice rural libéral, pourquoi avoir choisi de filmer et raconter la PACES ?
THOMAS LILTI : Je voulais me pencher sur cette jeunesse qui n'est pas une jeunesse qui cherche à faire la fête contrairement aux idées reçues. Ce sont des jeunes gens qui ont une soif d'apprentissage mais qui malheureusement se retrouvent dans une année qui ne leur propose pas du tout ça. C'est une année où 80 % d'entre eux seront éliminés !
J’ai aussi eu envie d'un témoignage qui puisse être utile aux jeunes mais aussi aux parents, grands-parents et à l'entourage qui souvent ne comprennent pas ce que vivent les étudiants en PACES : le manque de confiance, le sentiment d'échec, la culpabilité…
Beaucoup de scènes sont centrées sur les révisions. Têtes baissées, amphis et jargon scientifique : comment rendre ces moments attractifs ?
J’ai construit ce film comme si c'était "Rocky" avec Sylvester Stallone. Les étudiants mènent l'un des combats les plus importants de leur vie. Ils ont un combat intermédiaire qui est le concours de janvier, puis le combat final et entre-temps ils doivent s'entraîner. Cet entraînement, ce sont les révisions. L'important, c'est que ça raconte l'absurdité de cet apprentissage dont l'objectif est de montrer qui est capable d'apprendre le plus de choses et de réagir le mieux en situation de stress.
Tout oppose vos deux personnages principaux, Antoine et Benjamin : le milieu social comme la méthode scolaire. Était-ce important de montrer l'inégalité des études ? Peut-on être médecin sans être fils de médecin ?
Ce concours de la PACES participe à la reproduction des élites. On se rend compte que les étudiants qui réussissent sont ceux qui ont le "code". C'est difficile à définir mais c'est une reproduction d'un univers familial où il y a déjà des parents issus du monde universitaire ou qui évidemment sont médecins. Et, inconsciemment, les jeunes ont hérité de ce code de la réussite scolaire.
C'était essentiel de dire qu'il y a une inégalité dans les études de santé. Aujourd'hui, il y a une mixité des bacheliers mais... représentative du bac S. Surtout on constate qu'un étudiant sur deux à un de ses parents qui est médecin. Les enfants de médecins réussissent donc mieux la PACES que les autres.
Antoine et Benjamin se lient d'amitié lors cette année éprouvante. L'amitié est-elle vraiment possible dans un milieu si compétitif ?
Elle est vitale ! J'ai fait une PACES solitaire, ça a été douloureux. Certains la vivent seuls et d'autres se lient d'amitié en duo ou en groupe de travail. J'ai recueilli beaucoup de témoignages d'étudiants me disant qu'ils avaient vécu une année horrible mais rencontré leur meilleur ami. Vivre une telle aventure ensemble, ça renforce les liens.
La PACES que vous avez filmée ressemble-t-elle à celle que vous avez vécue ?
Elle n'a pas évolué. L'esprit est le même. Quand je l'ai passée, il y avait déjà le numerus clausus uniquement en médecine et dentaire. Les étudiants arrivent avec l'idée qu'ils vont épouser une vraie filière mais ils sont amenés à travailler un concours qui n'est pas en prise avec la réalité et la pratique médicale. Ils sont toujours jugés sur les performances scolaires et le bachotage. Ce système plonge l'étudiant dans un monde de compétition et de rivalité. Or, on ne se dit pas que ce sont les qualités premières qu'on cherche à faire mûrir chez un médecin.
La première année est connue pour être sélective, impitoyable. Le gouvernement d'apprête à réformer le numerus clausus et la PACES. Votre film est-il politique ?
Oui, c'est un film politique. Quand je conçois mes films, c'est pour divertir et raconter des histoires vues ou vécues. Pour "Première année", je constate un dysfonctionnement. Il dépasse la PACES et se retrouve dans certaines filières des études supérieures très élitistes. C'est un schéma que je remets en cause.
En réalité, la PACES reste une année de boucherie pédagogique pour le monde universitaire, voire politique. Beaucoup de bacheliers s'inscrivent dans ces études de santé car elles restent prestigieuses ; mais avec le numerus clausus on met en échec beaucoup trop d'étudiants. Il est temps de réformer ce concours et d'avoir une vision plus humaniste de la médecine. J'espère que ces réformes iront loin.
Mais êtes-vous pour ou contre le numerus clausus ?
On ne peut pas être pour ou contre. Il faut analyser la démographie des médecins, leur répartition et la pratique médicale d'aujourd'hui. Pour plusieurs raisons, la société a changé, le praticien à l'ancienne qui travaillait très tard est révolu. Il faut peut-être former plus de médecins. Je pense quand même qu'il faut maintenir une régulation mais surtout ouvrir les études de médecine à d'autres profils que ceux ultra-scientifiques et ultra-performants que l'on a aujourd'hui.
De quoi parlera votre prochain film ?
J'ai réalisé une série adaptée de mon film "Hippocrate" sur le monde hospitalier, toujours à travers le regard de jeunes internes. Elle sera diffusée en novembre sur Canal+. La santé reste mon quotidien de travail. J'ai un projet en gestation sur le monde infirmier... Ce qui me passionne ici, c'est le paradoxe entre la souffrance des infirmiers associée à une passion sans bornes pour leur métier.
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