Le plan de « refondation » des urgences présenté par Agnès Buzyn ne convainc pas l'ensemble des acteurs du système de la santé, loin s'en faut, malgré les 754 millions d'euros (sur trois ans) posés sur la table.
Service d'accès aux soins (le SAS) pour mieux réguler les urgences, filières gériatriques, bed managers, financement de 50 maisons médicales de garde, recours aux paramédicaux, tiers payant… En 12 mesures, la ministre ausculte le malade sous tous ses profils – de l'amont à l'aval en passant par l'organisation des services.
Grève reconduite par le collectif
Premier enseignement : la ministre n'a absolument pas apaisé la colère du collectif inter-urgences – à l'origine de la grève qui paralyse 250 services – réuni ce mardi 10 septembre en assemblée générale à Saint-Denis.
En préambule à l'AG, à Saint-Denis mais aussi dans d'autres grandes villes de France, les grévistes ont mis en scène de façon spectaculaire « l'asphyxie » de l'hôpital public, en s'allongeant sur le sol dans des sacs mortuaires ou en se recouvrant la tête recouverte d'un sac plastique.
L’assemblée commence par une action symbolique : montrer à quel point les #urgences en France suffoquent. pic.twitter.com/uNugSnPKw2
— GUILLEmette JeaNNoT (@LaGuilleEnParle) September 10, 2019
Action "urgences asphyxiées" dans devant les hôpitaux, à Nantes, Saint Nazaire, Meaux, Nevers pic.twitter.com/GKNt45aLVK
— L'Inter-Urgences (@InterUrg) September 10, 2019
Les 250 membres du collectif issus de toute la France (Angers, Rennes, Mont-de-Marsan, Toulouse, Chambéry, etc.) ont voté la poursuite du mouvement de grève et une nouvelle journée d'action le 26 septembre (sous forme de rassemblements locaux). Ils maintiennent leur triple revendication : 300 euros net de plus par mois ; un moratoire sur les fermetures de lits et de services ; une augmentation des effectifs service par service.
Urgentistes et hospitaliers en rangs dispersés
Concernés au premier chef par les dysfonctionnements, les médecins urgentistes affichent un front divisé.
« Rendez-vous raté », « rien sur les revalorisations salariales », mesures « gadgets comme le SAS dont personne ne comprend ce que c'est »… L'association des médecins urgentistes de France (AMUF) des Drs Patrick Pelloux et Christophe Prudhomme, présents à l'AG des paramédicaux grévistes, est la plus sévère. L'AMUF annoncera jeudi sa position pour la suite.
La Société française de médecine d'urgences (SFMU) présidée par le Dr Agnès Ricard-Hibon, accueille favorablement un plan « qui va dans le bon sens » et des mesures « ambitieuses » (infirmière de pratique avancée en médecine d'urgence, filière gériatrique), mais reste vigilante sur la pomme de discorde du numéro unique d'urgence.
SAMU-Urgences de France est satisfait de l'enveloppe débloquée. Son patron, le Dr François Braun, salue des dispositions qui répondent en partie aux préoccupations de son organisation (équipes territoriales médicales en temps partagé au niveau des GHT, création d'antennes d'urgences).
Coté praticiens hospitaliers, l'unité n'est pas de mise. « 100% solidaire », le Syndicat national des médecins hospitaliers FO (SNMH-FO), seule organisation à appeler clairement à la grève, souhaite organiser des assemblées de médecins au niveau des hôpitaux ». Partageant les revendications des paramédicaux, Action praticiens hôpital (APH), présent à l'AG du collectif, réserve sa décision à jeudi.
De l'autre côté du spectre, les présidents des commissions médicales d'établissements de centre hospitalier (CME de CH) sont bienveillants à l'égard de la ministre de la Santé, dont ils saluent « la vision et les intentions » – tout en regrettant qu'aucune mesure ne porte directement sur l'attractivité médicale hospitalière. « Sans médecins et bien sûr sans soignants, toutes les mesures sur l'aval sont vouées à l'échec », argumentent-ils.
La Fédération hospitalière de France (FHF) partage cette analyse. Le plan de refondation des urgences est certes une « avancée positive » sur le papier mais sa concrétisation va « nécessiter un réel courage politique ». Plutôt satisfait de l'ambition de mobiliser la ville, le président Frédéric Valletoux se méfie en revanche de la « forfaitisation à tous crins qui n'est pas la garantie d'un financement adapté »
La ville en alerte, faute de moyens
Du côté des médecins libéraux, c'est un peu la douche froide. Globalement, l'appel à l'aide appuyé de la ministre sur la prise en charge de soins non programmés, sans rémunération à la clé, agace.
Pour la CSMF, les annonces restent « floues ». La centrale du Dr Ortiz réclame une « valorisation de la permanence des soins réalisée en ambulatoire et dans les cliniques privées ». « Solliciter les médecins de ville surchargés passera immanquablement par la mise en place de mesures d’incitation fortes et de réorganisation », indique le syndicat.
MG France trouve ces annonces trop « générales ». « Mais c'est une opportunité pour obtenir quelque chose pour la médecine générale et les soins primaires », commente le Dr Jacques Battistoni. Le président de MG France envisage de « négocier une revalorisation de la participation des médecins à la prise en charge des soins non programmés » et « des moyens pour les régulateurs libéraux ». « Pour les effecteurs, cela passe par une double incitation, des forfaits via le forfait structure et une cotation spécifique pour les actes réalisés à la demande du centre de régulation des appels ».
De son côté, le SML estime que le plan a le mérite de faire bouger les lignes mais n'aura pas d'effet escompté dans l'immédiat. Il demande aussi une revalorisation pour la médecine libérale engagée dans les soins non programmés et la création d'une visite longue pour la prise en charge des patients en ALD.
Perte de sens
L'hypothèse d'une régulation unique préoccupe au plus haut point les libéraux. Ils refusent une gestion centralisée hospitalière et restent attachés au 116 117, numéro de régulation ambulatoire. « Le service d'accès aux soins doit s'appuyer sur une régulation libérale », rappelle la CSMF. « Nous demandons une évaluation des expérimentations menées dans cinq régions », martèle le Dr Philippe Vermesch, président du SML.
Pour la FMF, la déception est « immense ». « Ce plan ne réglera pas le problème du patient sans médecin traitant, de la désertification. Il ne redonne pas d'attractivité à la médecine libérale », déplore le Dr Jean-Paul Hamon, son président. Il redoute que le service d'accès aux soins fasse « les choux gras des plateformes commerciales comme Qare et Doctolib ».
Dans une critique argumentée mesure par mesure, l'UFML-Syndicat salue plusieurs éléments du plan (délégations de tâches, filières gériatriques, équipement du SAMU en télémédecine, etc.). Mais le syndicat du Dr Jérôme Marty s'alarme du pilotage du futur SAS (« qui en aura la gouvernance ? ») et surtout de la « perte de sens » de l'exercice en ville et à l'hôpital « dans des conditions si difficiles ».
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