Premier stage d'interne dans un service de médecine interne-maladies infectieuses d'un hôpital de province, troisième jour. Médecine interne, ça n'en n'a que le nom, les chambres sont pour la plupart suroccupées par des patients de gériatrie, c'est l'étage « fourre-tout ». Le chef de service est démotivé ; pour moi, un travail titanesque.
Cet après-midi, plusieurs familles ont demandé à me voir, il faut consulter les dossiers des patients, sortir les bilans et préparer mes premiers rendez-vous de médecin. Je passe dans le couloir et j'entends appeler à l'aide. J'ouvre la porte rapidement, une chambre à quatre lits, trois patientes qui m'expliquent en même temps, affolées, que la quatrième ne respire plus. Je me retourne, je suis seule, trois paires d'yeux implorants braqués sur moi.
Il faut y aller, je me précipite sur le frêle corps, constate l'absence de signes vitaux et j'entreprends à cheval, de la masser en réclamant la réa. Je récupère un pouls, un souffle. De longues minutes plus tard, la réa arrive et me demande où est le chariot de réa. Un chariot de réa ? on a ça nous ?
Elle prend le relais et stabilise la situation, la petite grand-mère paraît tirée d'affaire. « Présente-moi ta patiente », « ... heu... je vais chercher son dossier. » Je reviens en courant avec l'énorme dossier, je l'ouvre devant la réa. Première page, en rouge : NE PAS RÉANIMER.
Je suis pétrifiée de honte. Je reçois alors le plus gros savon de tous les temps, je dois connaître tous mes patients, je dois maîtriser parfaitement leur dossier ainsi que le chariot de réanimation, savoir que le service de réanimation, deux étages en dessous ne doit être appelé qu'exceptionnellement... Ce soir-là, j'ai quitté le service à la nuit, tant pis pour mon bébé de trois mois. Le travail est colossal. Après une nuit sans sommeil, de retour dans le service, une dame m'accoste après la visite et me dit : « J'ai entendu parler de vous par les voisines de chambre de ma mère » et me tend un sac plastique.
Je n'ose pas la regarder et m'éclipse au plus vite pas encore prête à assumer mes exploits de la veille. Sa maman, en phase terminale d'un cancer généralisé, 93 années bien remplies, tout le monde souhaite qu'elle parte en douceur le moment venu.
Le soir, j'ouvre le sac plastique, qui contient rien de moins qu'une boîte Hermès, que j'ouvre. A l'intérieur, sur le beau tissu du carré, une enveloppe. J'ai lu et relu la lettre magnifique de cette fille qui me disait combien j'avais eu du courage, combien mon engagement était admirable ; elle me disait que je devais être fière de moi, que le chemin serait long mais que j'avais trouvé ma vocation. Enfin, ça elle ne le disait pas, mais c'est ce que j'ai compris ce soir-là.
Oui j'étais fière d'être médecin, je voulais être utile, sauver des vies. Il ne me restait plus qu'à travailler dur avec humilité pour étoffer mes connaissances. J'ai toujours gardé le carré, la lettre... et mon âme de cowgirl !
Médecin et fier de l'être
« Un chariot de réa, on a ça, nous ? »
Publié le 05/08/2016
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Crédit photo : PHANIE
Médecin généraliste
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Source : lequotidiendumedecin.fr
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