IDEALEMENT, LES SERVICES hospitaliers devraient être au centre de réseaux de soins. Il devrait y avoir un certain nombre de lieux de consultations «légers» dans lesquels consulteraient les personnes ayant des troubles de vision, avant d’être référées vers des lieux qui seraient des plateaux techniques (services hospitaliers) regroupant des compétences hyperspécialisées. En théorie, ces services hospitaliers ne devraient donc recevoir que des patients munis de courriers médicaux demandant, soit un avis, soit une investigation non disponible à la périphérie du réseau. Mais en pratique, cela ne se passe pas du tout de cette façon. Il y a historiquement une confusion entre le soin primaire et l’accès à un centre de référence et d’ailleurs, on entend souvent l’expression : « j’ai de la chance d’habiter à côté d’un bon hôpital », sous-entendu, j’y consulte pour tout et n’importe quoi.
Jusqu’à une date récente, les patients se rendaient donc à l’hôpital de proximité dans lequel ils étaient habitués à trouver une solution thérapeutique étendue à tous leurs problèmes ophtalmologiques, depuis la paupière jusqu’à la rétine. « Mais en raison d’une inflation dans le coût des appareillages ophtalmologiques et des plateaux techniques chirurgicaux, il a été impossible à certains hôpitaux de se maintenir à l’avant du mouvement médical, par défaut d’investissement. Des conventions ont donc été réalisées entre hôpitaux : par exemple, Trousseau et Tenon avec Saint-Antoine et aujourd’hui, Saint-Antoine avec les Quinze-Vingts. Dans ces trois hôpitaux de l’AP-HP, les hospitalisations et les blocs opératoires d’ophtalmologie ont été fermés, et seules persistent des consultations avec une antenne de soins primaires. L’objectif : concentrer ophtalmologistes et plateaux techniques onéreux, dans un seul endroit. Ce schéma de concentration, avec reprise de moyens, a été appliqué, et continue à l’être dans d’autres hôpitaux publics. L’idée qui prévaut aujourd’hui dans l’organisation des soins, est de réserver les services hospitaliers publics à la prise en charge des cas les plus complexes et/ou nécessitant la mise en œuvre des thérapeutiques les plus onéreuses. Tout cela au nom d’une certaine forme de rationalité économique. », remarque le Pr Laroche.
Un désengagement de l’hôpital ?
Quel est donc désormais le rôle de l’hôpital public dans les soins primaires ? « En théorie, on peut tout à fait concevoir un système de réseau ville-hôpital dans lequel les soins primaires seraient effectués en ville et les soins secondaires, voire tertiaires, dans des centres hospitaliers. Dans l’esprit des pouvoirs publics, c’est d’ailleurs ainsi que cela doit se passer. Mais en pratique, la situation n’est pas aussi simple et ce, pour plusieurs raisons. D’une part, il y a une pénurie d’ophtalmologistes. D’autre part, l’hôpital public qui offrait jusqu’à présent, une possibilité de soins primaires en secteur conventionné à une large partie de la population (qui n’avait pas forcément de mutuelle), voit cette offre se restreindre dès lors qu’ils se concentrent sur les soins secondaires. Et l’on ne peut pas demander aux libéraux de prendre seuls le relais de l’hôpital public pour assurer les soins primaires pour tous. En effet, quand on connaît ne serait-ce que le prix de l’immobilier à Paris, on comprend bien qu’il est extrêmement difficile, sinon impossible, pour un ophtalmologiste libéral parisien d’avoir un modèle économique viable de cabinet en secteur 1 (à Paris et dans bien d’autres grandes villes). Il y a donc très peu d’ophtalmologistes de secteur 1 car une activité qui était encore viable il y a 30 ans, ne l’est plus, eu égard au fait qu’il y a eu un découplage trop important entre l’augmentation modeste du tarif de la consultation en ophtalmologie et l’explosion des charges (locatives, personnels, prix des appareillages), sans valorisation correspondante des actes », souligne le Pr Laroche.
L’hôpital public reste donc aujourd’hui le dernier lieu dans lequel une clientèle (la moins aisée) va systématiquement consulter en soins primaires et où une clientèle qui a la possibilité de choisir entre ophtalmologie libérale et ophtalmologie hospitalière ne va consulter, qu’adressée par l’ophtalmologiste de ville, ou pour obtenir un deuxième avis. On peut donc tourner l’équation dans tous les sens, la conclusion est toujours la même : il y a un déficit en ophtalmologistes et encore plus en ophtalmologistes libéraux de secteur 1. « Faut-il que ce soit des centres publics ou privés qui mettent en place ces consultations primaires accessible à tous, c’est un vrai débat. Et le problème est clairement politique ! Mais il est évident qu’à partir du moment où le prix de la prestation offerte est supérieur au tarif facturé au patient, il faut qu’il y ait un tiers payan : soit l’Etat sous quelque forme que ce soit, soit un système de mutuelle. Mais on ne peut demander aux seuls ophtalmologistes libéraux, en nombre déjà insuffisant, de se substituer à l’Etat qui se désengage, afin de réaliser un réseau ville-hôpital réellement performant, et au centre duquel se trouverait l’hôpital public. L’implication croissante des orthoptistes, grâce à des délégations de tâches sous contrôle ophtalmologique, pourrait aider à trouver un début de réponse aux questions posées » conclut le Pr Laroche.
D’après un entretien avec le Pr Laurent Laroche, hôpital des Quinze-Vingts, Paris.
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