Consultations qui s’enchaînent, gardes à répétition, appels incessants des services hospitaliers voisins pour prendre en charge tel ou tel patient, charge administrative écrasante… Comment les soignants peuvent-ils encore trouver le temps d’écouter leurs patients et cultiver l’empathie ?
La réalisatrice et scénariste française Alexe Poukine a suivi pendant près d’un an des soignants – étudiants, infirmiers, médecins ou chefs de service – lors d’ateliers de simulation en santé pour explorer cette question. Dans Sauve qui peut, documentaire d’une heure trente, la réalisatrice nous plonge au cœur du Centre de formation et de simulation du CHU de Lausanne (Suisse), où personnels et comédiens se rencontrent à l’occasion de fausses consultations.
Simuler pour mieux soigner
Guidée à la fois par un regard subtil et précis, elle s’est attachée à capter, caméra à l’épaule, le quotidien de ces soignants, en pleine remise en question et en quête d’amélioration de leur pratique. À travers des mises en situation d’un réalisme saisissant comme l’accompagnement en fin de vie, l’annonce d’un cancer ou la décompensation d’un patient schizophrène, ces blouses blanches rejouent des scènes parfois inspirées de leurs expériences personnelles. Objectif : affiner leur capacité d’écoute, renforcer leur empathie et réapprendre à faire preuve de bienveillance dans un quotidien souvent marqué par la nécessité de faire vite.
Les blouses blanches rejouent, à travers diverses mises en situation, des scènes parfois inspirées de leurs expériences
À l’issue de chaque exercice, soignants et comédiens débriefent et partagent leurs ressentis. « Je vous ai senti précautionneux et délicat tout au long de l’entretien. Je ne saurais pas trop dire pourquoi, mais j’ai apprécié le contact physique : c’est comme si vous me rameniez dans mon lit d’hôpital, dans le concret, alors que mes pensées m’échappaient », confie un patient-acteur à qui l’on vient d’annoncer une fin de vie.
Dans un précédent documentaire sur le viol intitulé Sans frapper (2019), Alexe Poukine avait déjà interrogé le réel à travers un dispositif fictionnel dans lequel les participants interprétaient le rôle de victimes de viol. « J’aime travailler sur la façon dont le faux révèle quelque chose du vrai, sur la façon dont l’interprétation et le jeu peuvent changer la réalité », livre-t-elle au Quotidien.
Des conditions de travail éprouvantes
Dans son nouveau film, la réalisatrice explore aussi les failles de l’hôpital public et les conditions de travail des soignants. Autour d’une table, les protagonistes abordent sans détour des sujets douloureux : burn-out, risque suicidaire, sentiment d’abandon… Interrogée, la réalisatrice confie avoir vu, tout au long de sa vie, des soignants portés par une véritable vocation – « presque un sacerdoce » – qui va pourtant s’étioler au fil des années.
« Ils conservent cette envie de bien faire mais se heurtent à des injonctions contradictoires qui les empêchent d’exercer comme ils le souhaiteraient. J’ai l’impression que ça les abîme profondément », observe-t-elle. Car si « l’empathie s’apprend », elle peut aussi être mise à mal par un système maltraitant. « Ce sentiment d’impuissance n’est pas une fatalité. On cherche à nous en convaincre pour empêcher l’émergence d’un contre-pouvoir », affirme la réalisatrice, refusant tout fatalisme. Pour elle, la réponse passe par le collectif : « Il faut se rassembler et lutter. Les unions professionnelles existent aussi pour ça. Les choses peuvent changer. »
Simulation en santé : la France à la traîne
En Suisse, la simulation en santé a été développée dans les années 2000 et intégré dans la formation des soignants en 2010. Un jalon important a été l'ouverture en 2013 du Centre interprofessionnel de simulation (Genève), premier centre du genre dans le pays. Depuis, la simulation y est devenue un pilier de la formation médicale. En France, le développement de cette pratique est plus récent et encore inégal, malgré des établissements de pointe comme SimUSanté, à Amiens. En dépit d’un texte réglementaire paru début 2025 qui autorise et précise les modalités de participation des patients à la simulation et, plus largement, à la formation médicale, il n’existe encore aucun cadre national légal.
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