La crise sanitaire contraint les cliniques et hôpitaux à se réinventer. Finis les bâtiments monoblocs fonctionnalistes, place aux structures évolutives, adaptables aux besoins des patients et des soignants. À Paris, Caen, Nantes, Metz, les cabinets d'archis rivalisent d'ingéniosité pour concrétiser – en partenariat avec les médecins – une certaine idée de l'hôpital.
C'est une image inscrite dans l'Histoire. Fin janvier, le bal des grues et des pelleteuses érigeant en dix jours les deux hôpitaux de la « montagne du dieu du feu » et de « montagne du dieu de la foudre », à Wuhan, a fasciné la planète.
Alors que la crise sanitaire s'installait, les délais de construction autant que la prouesse des ingénieurs chinois ont rebattu une nouvelle fois les cartes de l'architecture hospitalière. Qu'auraient pensé les pères fondateurs des CHU – il y a 60 ans – de ces structures de plus de 1 000 lits montées par la superposition de modules en préfabriqués mais dotés de la 5G et de systèmes de filtration d'air dernier cri ?
Du monobloc au polybloc
En France, les établissements de santé, contraints de s'adapter à l'amélioration des techniques médicales et à l'évolution des demandes sociétales, ont connu des bouleversements considérables en quelques décennies. Pendant la première moitié du XXe siècle, l'hôpital est ce monobloc en béton armé fonctionnaliste et hygiéniste, à l'instar de Beaujon (Clichy, AP-HP), construit en 1935 mais désormais « obsolète » et « inadapté », selon François Crémieux, DG adjoint du CHU francilien (lire page 3).
Par la suite, le médico-technique devient central, les autres services et fonctions support se déployant en lisière tandis que l'hospitalisation prend de la hauteur (les tours du CHU de Caen datant de 1970, et du CHU de Tours de 1964). « Avant, on pensait les hôpitaux uniquement en monobloc avec un plateau technique en nappe, confirme Laurent Perusat, architecte associé à AIA Life designers, agence lauréate de la reconstruction des deux CHU, prévues en 2025 et 2026. Aujourd'hui, on revient à des organisations plus horizontales mais connectées, où tout est conditionné dans une relation au bloc opératoire et aux urgences. »
Ville dans la ville
La conception de nouvel établissement doit surtout être « évolutive », maître mot des architectes, et encore plus dans l'ère post-Covid. À Saint-Jean-de-Védas (Hérault), le groupe privé Cap Santé a repensé sa nouvelle clinique en l'externalisant dans une zone périphérique pour gagner de l'espace, en prévoyant un étage et même un service de réa supplémentaire (lire reportage ci-dessous).
L'architecture doit faciliter une adaptation future des locaux et des services, en cas de crise mais aussi pour répondre aux nouveaux besoins. Le secteur est invité à plugger des nouvelles structures mobiles, stockables et (ré)utilisables aux bâtiments existants. Les Hospices civils de Lyon (HCL) et la centrale d'achat UniHA viennent de lancer un appel à manifestation d'intérêt pour la construction d'unités de réanimations modulaires. L'hôpital de Provins (Seine-et-Marne) s'intéresse à l'achat d'une unité en préfabriqué de soins de suite et de réadaptation (SSR).
L'autre piste privilégiée par les architectes est celle d'un hôpital étalé, fractionné ou, selon les termes de Michel Beauvais (cabinet MBA), « polybloc », toujours inséré dans la cité, ouvert au secteur libéral, qui concilie fonctionnalité et humanisation. Le futur CHU de l’île de Nantes, ville dans la ville livrée dans cinq ans, en est le parfait exemple.
Langue de béton
Tous les architectes en conviennent : cette (r)évolution hospitalière ne peut se faire sans les médecins. « On travaille avec eux autant sur l'organisation globale de la prise en charge que sur des détails parfois improbables. Je me suis retrouvé à parler du bord [trop coupant, NDLR] du siège des toilettes avec le président de la CME du CHU de Guadeloupe, se souvient Laurent-Marc Fischer (cabinet Architecturestudio). Tout doit tendre au respect du patient. »
Et à sa sécurité. À Metz, le centre de soins psychiatriques arbore sa langue de béton, épaisse et pigmentée (œuvre du plasticien Grégoire Hespel). « Nous avons l'intime conviction que l'architecture peut participer au protocole de soin, confie Pascale Richter, à l'origine du bâtiment avec son frère Jan. Ce béton, c'est une peau de substitution, une enveloppe qui protège les patients de l'extérieur sans les enfermer. Car l'intérieur, composé de six patios aux plantations contrastées, est ouvert sur le monde, contrairement à ce que l'on pourrait penser. »