LE QUOTIDIEN - Est-ce la réforme HPST (Hôpital, patients, santé, territoires) qui a créé une fracture au sein de la précédente CME de l’AP-HP ?
PR LOIC CAPRON - Tout a commencé à mal aller début 2009, lors du dernier vote de l’EPRD [le budget prévisionnel] par la CME. Le plan de retour à l’équilibre allait nous coûter beaucoup d’emplois et risquait fort de dégrader la qualité des soins. Au Syndicat des médecins, nous avons décidé de voter contre. « Si l’EPRD ne passe pas, le DG [le directeur général, Benoît Leclercq] saute », avait dit Pierre Coriat [le président de la CME à l’époque]. Benoît Leclercq lui-même avait fait vibrer des arguments très personnels. Il a arraché le vote pour l’EPRD, et ça, ça a cassé la CME. Dans la foulée, il y a eu le mouvement du printemps 2009 déclenché par la loi HPST. Pierre Coriat était aux manifestations, mais on sentait bien que beaucoup suivaient avec difficulté. C’est à ce moment-là que s’est créé le mouvement de défense de l’hôpital public, dont l’un des parrains était le syndicat des médecins que je présidais. J’ai pris un parti opposant dès 2009. Après, la cassure était faite, et les oukases de la loi HPST sont arrivés les uns après les autres.
Pourquoi la loi Bachelot vous déplaît-elle tant ?
Le directeur décide, point. La loi HPST se résume à cela. Le président de la République l’avait annoncé, ce n’était pas des paroles en l’air. Comment un directeur peut-il choisir des médecins avec pertinence ? On a le droit de dire « l’hôpital sans les médecins », mais on en assume les conséquences. La conséquence principale, ce n’est pas la révolte, c’est le désintérêt. Et ça, c’est gravissime. La passion de l’hôpital quitte les médecins. Ils baissent les bras. C’est dur, l’hôpital. Il faut se battre pour qu’un service tourne, pour recruter. La démotivation a pris le dessus.
Si le tableau est si sombre, pourquoi les chefs de pôle et les chefs de service de l’AP-HP ont-ils brandi la menace d’une démission collective sans jamais l’avoir appliquée ?
Parce que le premier qui devait le faire, le président de la CME, n’a pas bougé. Cette démission n’était valable que si tout le monde le faisait. Beaucoup n’auraient pas suivi si lui, le président, ne l’avait pas fait. À l’été 2010, le conseil de surveillance et le directoire ont été installés, et la CME a réalisé qu’elle n’était plus qu’informée. C’était le moment venu pour démissionner collectivement. Ceci étant, est-on élu pour démissionner ? Ce mouvement a été lancé par Pierre Coriat de manière très imprudente. C’était une très mauvaise idée puisqu’il n’a pas tenu sa parole.
Quelles sont, à vos yeux, les autres raisons de l’échec de votre prédécesseur ?
Pierre Coriat aimait le secret. Les décisions prises changeaient. Il y a eu aussi l’histoire des restructurations ratées. La restructuration de la pédiatrie spécialisée s’est heurtée à l’obstacle Trousseau, et le dossier a été fermé. Il faut le rouvrir, car que fait-on de l’hématologie, de la néphrologie, de la gastro-entérologie ? Il y a eu la chirurgie du cancer digestif d’Ambroise Paré qu’on a voulu amener à Pompidou : fiasco total, avec l’équipe chirurgicale d’Ambroise Paré mise à mal. Voilà les deux échecs les plus cuisants. Et la chirurgie cardiaque, autre échec assumé par la CME resserrée, la CME que je qualifie d’oligarchique. Notre avenir dépend des restructurations. On ne peut pas restructurer avec brutalité et sans concertation.
À présent que vous présidez la communauté médicale de l’AP, que comptez-vous changer ?
La méthode : concertation, débat, transparence, fidélité à l’engagement pris. Les dossiers sont sur la table. Il faut restructurer les neurosciences, la pédiatrie spécialisée, la chirurgie cardiaque. La gériatrie et les soins de longue durée, l’organisation des blocs opératoires. La chirurgie est l’une des mamelles de l’AP, qui doit garder ses malades et ses chirurgiens. Le jour où l’AP n’a plus de chirurgien, c’est fini, on ferme. Il faut aussi que la CME centrale de l’AP-HP apprenne à travailler avec les CME locales - il en existe douze, une par groupe hospitalier. Qui va décider quoi ? C’est un gros sujet politique. Il faut éviter le morcellement de la communauté médicale et la cacophonie.
Vous critiquez le slogan présidentiel : « Un patron à l’hôpital, le directeur ». Comment envisagez-vous vos relations avec la directrice générale, Mireille Faugère ?
La loi, c’est la loi : la directrice générale préside le directoire dont je suis le premier vice-président. Deux autres médecins siègent au directoire, dont le choix est stratégique ; je vais proposer des noms mais c’est la directrice générale qui les choisira. C’est cela aussi, HPST... Nous irons toujours chercher l’accord, mais nous ne dirons pas toujours oui. La révision des effectifs des praticiens hospitaliers sera le premier sujet de discussion. L’économie attendue de 5 millions d’euros correspond à 50 emplois temps plein médicaux. La CME raisonne médicalement. Si la direction exige que l’on rende 50 emplois, la réponse sera non. Si l’on nous fait du chantage en nous demandant de rendre des emplois soignants, il y aura un bras de fer.
La dislocation de l’AP-HP, cela vous inquiète ?
C’est un rêve pour certains. Il y a des sécessionnistes autant chez les directeurs que chez les médecins. L’AP-HP a été découpée en 4 groupements hospitaliers universitaires avant d’être découpée en 12 groupes hospitaliers, avec l’idée, à chaque fois, de réduire son déficit. Mon intuition me dit que c’est une mauvaise idée, mais je suis pragmatique. Si les groupes hospitaliers aboutissent à des économies et parviennent à être autonomes, il sera peut-être temps de fragmenter l’AP-HP en six ou sept morceaux. On le verra dans les quatre ans qui viennent.
La directrice générale veut consulter les médecins de ville en 2012. Saluez-vous l’initiative ?
Une instance centrale des relations avec la médecine de ville, avec l’idée de prendre davantage de patients au privé, je doute que cela serve à quelque chose. Ce n’est pas la directrice générale qui peut changer les relations entre les médecins hospitaliers et libéraux. Ce qu’il faut, c’est donner à chaque médecin l’envie de se battre pour son service. Je quitte un service de 57 lits dont 7 sont fermés depuis 8 mois par défaut d’infirmières. Que la direction recrute des infirmières au lieu de nous dire de faire toujours plus d’activité!
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