LE QUOTIDIEN - La société Eiffage a conçu et construit l’hôpital Sud francilien sur la base du PPP signé en 2006 par Xavier Bertrand. Pourquoi avez-vous refusé d’en prendre les clés en janvier 2011 ?
ALAIN VERRET - Ce ne devait être qu’une formalité. Les réserves étaient en effet toutes levées, aux dires d’Héveil-Eiffage et son contrôleur Veritas. J’étais parti de l’idée qu’Eiffage réaliserait un bâtiment prêt à fonctionner comme il le doit au titre de son contrat. L’expert qui a réalisé les 42 points de contrôle prévus par le contrat m’a dit que l’ensemble était correct, mais que d’autres points n’auraient pu être validés si on le lui avait demandé. C’est pourquoi j’ai refusé de prendre les clés. Cela a été très difficile car l’autorité de tutelle voulait ouvrir l’hôpital au plus vite. Nous avons signé un protocole transactionnel stipulant que tout devait être fini rapidement – rappelons que Eiffage est concepteur, constructeur, pilote des travaux, gestionnaire, bref le directeur de l’investissement et de la gestion technique - et j’ai prononcé la prise des clés trois jours plus tard. Mais, prudent, j’ai demandé un état des lieux à Eiffage. Des parties de l’hôpital ne nous avaient pas été montrées pendant le chantier. Il a fallu trois mois aux techniciens que j’ai missionnés pour explorer de fond en comble les 4 000 locaux ; 150 exploits d’huissier ont été établis, qui ont abouti aux 7 000 constats de malfaçons.
La sécurité de l’hôpital n’était donc à vos yeux pas assurée ?
Elle n’était pas assurée à cette époque. J’avais déjà connu des pannes d’eau et d’électricité lors de mes précédents postes. J’ai dirigé l’hôpital de Nevers ; je savais où passaient les tuyaux, ce qu’il y avait sous les faux plafonds, comment marchait la sécurité anti-incendie. J’ai connu une demi-heure dans le noir au CHU de Nantes dont je me souviendrai toute ma vie. Mais il y a des défauts qu’un directeur d’hôpital ne peut pas accepter. La sécurité, c’est de sa responsabilité première et directe. Un mois après la prise de clés au CHSF, on a eu coup sur coup deux pannes générales d’alimentation en eau froide, et quatre pannes générales d’alimentation électrique. Ce bâtiment est un beau bâtiment mais ce n’est pas un hôpital, ai-je résumé à l’époque. Eiffage m’a dit de ne pas m’inquiéter : cela ne m’a pas rassuré! J’ai donc demandé une expertise généralisée du bâtiment pour pouvoir y mettre des malades sous ma responsabilité. Les conclusions ont été rendues en octobre - je n’étais plus en fonction. Il y avait encore des travaux à corriger, dix mois après la levée des réserves !
Avec le recul, diriez-vous que la signature de ce PPP a été une erreur ?
L’État a implicitement considéré qu’il avait perdu la main sur la maîtrise d’ouvrage public : ce présupposé est contestable. À Nevers, on a su faire le marché, le contrôle et l’ouverture de l’hôpital en temps et en heure. Le contrat a été mal fait. L’entreprise n’avait pas fini son travail quand on a commencé à lui verser un loyer. J’ai cherché tous les moyens avec mes avocats pour diminuer les paiements à Eiffage, mais le contrat nous l’interdisait. Le ministère de la Santé a fait son expérimentation grandeur nature sur le CHSF : ça a été l’un des tout premiers PPP dans le secteur hospitalier, et le plus gros. Malgré l’aide d’avocats spécialisés, l’hôpital s’est trouvé démuni pour défendre l’intérêt général. On aurait pu résilier, ou racheter le contrat. Le politique a tranché, il a ouvert l’hôpital coûte que coûte. Ce n’est pas de la faute de l’hôpital s’il est engagé dans une mauvaise voie. L’établissement peut reprendre les choses en main si l’État l’accompagne fortement, comme ce fut le cas pour le viaduc de Millau racheté par l’État, solution que j’ai proposée.
Pourquoi avoir quitté le navire le 31 août dernier ?
L’hôpital était péniblement revenu à l’équilibre sous ma direction. D’une manière étonnante, en juillet dernier, l’ARS a affirmé que les objectifs du contrat de retour à l’équilibre financier n’avaient pas été réalisés. Elle a refusé mes deux projets d’EPRD [budget prévisionnel, NDLR], et en a imposé un troisième qui prévoyait 8 millions d’euros d’économie sur le personnel en année pleine. C’était une demande invraisemblable, qui revenait à mettre la charrue avant les bœufs. J’avais réussi à augmenter l’effectif tout en réduisant le déficit, mais l’Agence doutait de cette stratégie. Elle m’a demandé de rentrer dans le rang. Le cadre de confiance s’est défait à partir du printemps 2011. J’ai préféré partir quand j’ai compris que j’allais être amené à prendre des décisions contraires à l’intérêt de l’hôpital.
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