PAS FRANCHEMENT emballés, voire méfiants. Les médecins libéraux peinent à comprendre ce que l’AP-HP cherche à faire de l’Hôtel-Dieu, le plus vieil hôpital de la capitale. Il est pourtant question qu’ils y jouent un rôle clé dans les prochains mois.
Une fois ses urgences fermées et ses services déménagés à Cochin, à compter du mois de novembre a priori, l’Hôtel-Dieu devrait se transformer en une structure sans lit (d’où le concept d’« hôpital debout ») ni chirurgie, pas même ambulatoire. Y exerceraient des médecins hospitaliers et libéraux, à la fois des généralistes, et des spécialistes. Un lieu ouvert aux consultations 24 heures sur 24, sans rendez-vous, et en tarif opposable. L’endroit conservera un plateau technique. « Ce ne sera pas une maison de santé », a précisé Mireille Faugère, la directrice générale de l’AP-HP, lors d’un débat* public à Paris.
Centre de recherche et d’enseignement.
Mais alors de quoi s’agira-t-il ? À la fois porte d’entrée sur l’hôpital, terrain de stage en médecine générale, centre de recherche en santé publique, les contours du futur Hôtel-Dieu restent flous aux yeux des professionnels libéraux appelés à y prendre des vacations. « Un tel projet n’a jamais été fait en France. On ne peut s’appuyer sur des expérimentations passées pour dire que cela va se passer comme cela, se défend Mireille Faugère. C’est le rôle de l’hôpital d’être lisible, accessible, et présent sur la médecine de proximité ».
Quid de la gouvernance du futur Hôtel-Dieu, de son financement ? Et quid des conditions de travail - rémunération, assurance... - offertes aux libéraux ? Rien, à ce stade, n’est arrêté. Mais prière de faire confiance à la grande institution de l’AP-HP : « Quand on est qui nous sommes, on fera des choses sérieuses en matière de responsabilité de l’exercice professionnel », assure Mireille Faugère.
Écueils.
Il en faudra davantage pour établir la confiance. Venus écouter et débattre, des médecins libéraux ont pris le micro pour exprimer leurs doutes. Présenté comme innovant et complémentaire, le projet de nouvel Hôtel-Dieu est perçu comme une concurrence... anachronique. Le Dr Marie-Laure Alby, généraliste dans le 14e arrondissement, est aussi membre du conseil de surveillance de l’AP-HP. Hier soutien du projet, elle prend aujourd’hui ses distances. « Ces consultations 24 heures sur 24, dit-elle, c’est un message désastreux à la population. Cela va à l’encontre de la régulation de l’afflux aux urgences qu’on essaie de mettre en place via la permanence des soins ambulatoire. Les cadres supérieurs qui ne veulent pas attendre pour voir leur médecin se précipiteront tous à l’Hôtel-Dieu de 18 heures à minuit : la planche à billets va fonctionner ! A contrario personne ne consultera la nuit, et le projet ne sera pas rentable ».
Alain Beaupin, directeur de centre de santé, est peu convaincu : « On juxtapose des idées mais on ne voit pas de projet émerger ». Du même avis, le Dr Bernard Huynh, vice-président de l’URPS « médecins » Ile-de-France, attend de voir « le business plan ». « Cela paraît irréaliste en l’état du document », complète-t-il. Et le gynécologue d’énumérer les écueils qui menacent la médecine libérale dans les grandes villes : le coût de l’immobilier, des charges, le vieillissement des praticiens. « Nous ne prétendons pas résoudre les problèmes de la médecine libérale », rétorque Mireille Faugère. Qui ajoute, diplomate : « Je propose, les médecins libéraux disposent ».
La CGT apporte son soutien aux professionnels.
Le dialogue entre le CHU et la médecine de ville peine à s’établir. « Pour travailler avec les médecins généralistes, reprend le Dr Alby, il faut aller à leur rencontre. Cela n’est pas fait du tout! ». Le PU-PH qui porte le projet, le Pr Jean-Yves Fagon, a rencontré les enseignants de médecine générale, pas les praticiens de terrain. Il assure cependant : « Notre but n’est pas de leur piquer la clientèle la nuit ! ».
De son côté, l’urgentiste Gérald Kierzek, qui bataille contre la fermeture de son service à l’Hôtel-Dieu, se demande comment les patients évalueront l’urgence de leur cas. « Prenons le cas d’une douleur de poitrine. Si c’est un infarctus, direction Cochin. Si c’est une bronchite, direction l’Hôtel-Dieu. Comment le patient fera-t-il son autodiagnostic ? ». La directrice de l’AP-HP assure que des transports sanitaires prendront le relais. « On aura des morts si on ferme les urgences de l’Hôtel-Dieu, et les experts autoproclamés qui ont défendu le projet seront les responsables », a asséné le Dr Christophe Prudhomme, de la CGT santé, en présence du secrétaire général de la CGT, Thierry Lepaon, venu visiter l’Hôtel-Dieu et soutenir les équipes. « Ceux qui nous gouvernent devraient écouter les professionnels », a lancé l’ancien ouvrier soudeur.
* Café Nile.
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