UNE CRISE de confiance menacerait les vocations, à écouter les praticiens hospitaliers venus échanger avec le Médiateur de la République, à l’occasion des « rencontres d’Hippocrate », un cycle de conférences organisées à la faculté de médecine Paris Descartes. « Travailler au seul nom de la rentabilité, enchaîner les reporting de pôles, brasser des chiffres et rendre des comptes sans connaître le résultat de nos efforts, tout cela se résume à un leurre », avance le Pr Claire Le Jeunne, chef du service de médecine interne de l’hôpital Hôtel-Dieu à Paris. Lasse de « l’accumulation de réformes, des indicateurs et des contraintes aboutissant toujours au déficit », elle explique « ne plus savoir où cela mène et refuse désormais de jouer le jeu. » Un ras-le-bol partagé par le Pr Serge Poiraudeau qui dirige le service de rééducation et de réadaptation de l’appareil locomoteur et des pathologies du rachis à l’hôpital Cochin. Il dénonce « le pur mensonge dont relève cette fameuse convergence public-privé. » Et juge que le groupe homogène de malades est une équation impossible pour l’hôpital public. « Pourquoi s’acharner à le démontrer : évaluer, compter et rentabiliser, cela tend à faire oublier que soigner est encore un savoir, » déclare-t-il.
L’ère de l’hôpital entreprise.
À la tribune, Jean-Paul Delevoye ne cache pas sa surprise. Même si 18 % des 14 000 requêtes adressées à ses services l’an dernier ont été formulées par des professionnels de santé, l’émotion des témoignages est pesante. Dans la salle, le Pr Olivier Goulet, de l’hôpital Necker, a le regard humide pour évoquer l’absence d’humanité qui s’installe. « On n’a plus le temps de sourire, de se donner à la tâche majeure qui faisait la grandeur de notre métier. » Un malaise perçu par François Crémieux aujourd’hui directeur du pôle « établissements de santé » à l’ARS Ile-de-France. Il déplore les dommages collatéraux de la T2A, explique qu’il est temps de retrouver du sens. Le Pr André Grimaldi, de l’hôpital Pitié-Salpêtrière, illustre ces propos. « Le jour où l’on m’a dit que mes consultations du samedi matin valaient 23 euros, j’ai eu envie de les arrêter, car j’étais motivé par leur gratuité, cela m’honorait. » Affirmant représenter « une génération de mélancoliques qui a la chance de partir à la retraite, » il regrette de laisser aux nouvelles générations de médecins, « un métier d’ingénieur dans un modèle marchand à l’ère de l’hôpital entreprise. »
Attentif, le Médiateur de la République déplore que, trop souvent, « le chacun pour-soi l’emporte sur le chacun pour tous, la vision purement comptable amenant aujourd’hui à oublier les principes au nom des chiffres. » Il invite « à la restauration du politique et des syndicats dans notre société où la force républicaine est mise à mal. » À ses côtés, Loïc Ricour qui pilote le pôle santé du Médiateur veut croire que « la crise peut être un levier se poser les bonnes questions et redonner de l’enthousiasme. »
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