DES SON arrivée à la tête du CHU montpelliérain, début 2005, Alain Manville n’a pas fait l’unanimité. « Vous avez devant vous un ancien flic et un franc-maçon », aurait-il lancé à ses cadres ahuris, peu après sa prise de fonction. La phrase est restée dans les annales. « Il aurait dû être rappelé à l’ordre aussitôt », commente un hospitalier. Peut-être l’a-t-il été... mais en tout cas, Alain Manville est resté en poste. Jusqu’à mardi dernier, jour où le ministère de la Santé l’a suspendu de ses fonctions. Alain Manville était devenu persona non grata : le 24 mars, la Cour d’Appel avait confirmé sa condamnation pour harcèlement moral envers trois de ses anciens cadres.
Cette suspension, que beaucoup attendaient sans oser le dire trop fort, met un terme à cinq années d’intrigues nauséabondes. Lettres de menace, pressions, manipulations, et même envoi de cercueils : tout y est passé. Des cadres ont porté plainte. En première instance, Alain Manville avait écopé de cinq mois de prison avec sursis : lourde et rarissime condamnation pour un directeur d’hôpital. « Il aurait fallu ouvrir une procédure disciplinaire dès cet instant », estime un DG de CHU.
Le ministère de la Santé a préféré attendre le jugement en appel avant de suspendre l’intéressé. Il n’y a guère de précédents, à l’exception du DG du CHU de Caen (révoqué pour avoir engagé plus de 800 000 euros de travaux dans son logement de fonction) et le directeur du CH de Montauban (mis à pied pour détournement de fonds publics). Dans les trois cas, la suspension fait suite à une condamnation judiciaire. Le Syndicat national des cadres hospitaliers (SNCH) regrette le temps perdu à Montpellier. « Malgré les alertes envoyées, les pouvoirs publics ne savent pas gérer les conflits au sein des équipes de direction d’hôpital autrement que par le pourrissement, déplore Philippe Blua, président du SNCH . Il arrive qu’un conflit naisse lorsqu’arrive un nouveau directeur. Plutôt que d’attendre que la justice tranche, le ministère de la Santé devrait prendre ses responsabilités, mener des enquêtes locales pour voir qui dit vrai, qui dit faux, et prendre les décisions qui s’imposent. »
Au-delà des querelles de personnes, une question se pose. Le CHU de Montpellier a-t-il souffert de ce conflit interne ? Pris entre le marteau et l’enclume, le président de la CME (commission médicale d’établissement) défend son bilan. « Le climat délétère n’a pas eu d’incidence sur la qualité des soins, et n’a pas freiné les réorganisations : nous avons ouvert des soins palliatifs, développé la chirurgie ambulatoire », fait valoir le Pr Bernard Guillot. À son tour, le voici pris dans les turbulences, critiqué pour avoir été trop proche du directeur Alain Manville et de ses réseaux.
Gros enjeux locaux.
Le lendemain de la mise à pied du DG, le Pr Guillot a tenté de reprendre la main en réunissant tous les médecins du CHU. À la question : « Êtes-vous pour ou contre la politique menée par la direction générale dans ses fondements comme dans sa manière ? », 94 % des votants ont répondu « contre ». Le Pr Guillot fait le lien avec la contestation qui agite l’AP-HP (Hôpitaux de Paris) depuis plusieurs mois. « C’est la preuve, dit-il, que les médecins ne comprennent plus cette politique menée à marche forcée dans un seul but économique. » Le 19 avril, le président de la CME remettra en jeu son mandat : « Dans ce climat d’extrême tension, il est normal que la CME me confirme sa confiance. Sinon, je démissionnerai. »
En terme d’offre de soins, la concurrence locale est rude – il y a cinq grosses cliniques à Montpellier, et le CHU de Nîmes n’est distant que de 40 kms. « On doit se positionner pour garder nos médecins, reprend le Pr Bernard Guillot. Le CHU souffre d’un gros retard d’investissements. Certains médecins titulaires depuis 20 ans partagent le même bureau et le même ordinateur. Ces conditions de travail ne sont pas acceptables. » Pour remettre en selle le CHU montpelliérain, le président de la CME a son idée. Deux CHU si proches, dit-il, c’est trop. « Mieux vaut qu’il n’y en ait qu’un ». L’idée ne date pas d’hier. Du côté de Nîmes, on fait la sourde oreille. « Impossible de l’envisager sérieusement : le coût social et municipal serait trop élevé. Mieux vaut chercher des coopérations classiques », commente un responsable hospitalier.
Jacques Domergue, chirurgien au CHU de Montpellier, et député UMP de l’Hérault, s’inquiète d’un possible enlisement : « Dans tous les classements, le CHU recule. Il est urgent de nommer à sa tête quelqu’un capable de panser les plaies. Le danger, en cas de crise, c’est que les médecins règlent leurs comptes. »
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