Comment rendre l'hôpital public plus attractif ?

Hausse des rémunérations et gouvernance médicale : deux leviers pour sortir de la crise

Par
Publié le 21/10/2019
Article réservé aux abonnés
Lors d'un colloque organisé par l'Ordre, décideurs hospitaliers et experts du secteur ont identifié les principaux leviers d'attractivité à l'hôpital. Priorités : donner davantage de pouvoir aux médecins et revaloriser les carrières, un chantier qu'Agnès Buzyn a promis d'ouvrir...
La CME, parlement médical ou croupion de la direction ?

La CME, parlement médical ou croupion de la direction ?
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Pour tenter de remédier à la crise qui secoue l'hôpital – dont la grève aux urgences est le premier symptôme – le conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) a invité les parties prenantes (syndicats, fédérations, tutelles) à proposer leurs solutions.

Avec une pénurie médicale chronique (près de 30 % de postes vacants de PH temps plein à l'hôpital début 2019 mais 43 % en radiologie, 38 % en anesthésie...), le Dr Patrick Bouet, président de l'Ordre, a mis en garde contre le risque d'une « explosion programmée ». Pression budgétaire, restriction des capacités d'accueil, dégradation des conditions de travail, glissement de tâches, épuisement des équipes, perte de sens et – c'est nouveau – insécurité : le généraliste de Seine-Saint-Denis souligne « l'impasse structurelle » dans laquelle se trouve l'hôpital public et les soignants qui y exercent. Une situation qui commande de « retrouver le sens humain à la mission de soigner, le sens solidaire à la mission de service public et le sens médical empathique à la mission des soignants ».

Consciente des enjeux, Agnès Buzyn a pour la première fois ouvert la porte à un « travail » sur les rémunérations, qui concernera à la fois les médecins – notamment en début de carrière – et les paramédicaux (avec en toile de fond la revendication des grévistes d'une hausse salariale de 300 euros net mensuels pour tous les personnels). Preuve que la crise est profonde, l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), plus grand CHU d'Europe, a reconnu avoir été contrainte de fermer « 900 lits », confrontée à de graves difficultés de recrutement et de fidélisation des soignants, notamment les infirmières. 

Pour doper l'attractivité des carrières médicales, deux leviers principaux sont identifiés : la grille de rémunération mais aussi la gouvernance interne. « Le carcan économique et administratif doit se desserrer et désenclaver les métiers de la santé qui doivent être reconnus et valorisés », résume le Dr Patrick Bouet.

5 000 euros en début de carrière médicale, 10 000 à la fin

Dans un contexte de concurrence avec le secteur privé, comment recruter et fidéliser les soignants ? Le Dr Laurent Heyer, membre de l'intersyndicale Action praticiens hôpital (APH), regrette « le manque de signaux forts » du gouvernement pour « insuffler les ressources nécessaires afin de changer la donne ». APH et Jeunes médecins réclament à cet égard un début de carrière médicale « à 5 000 euros mensuels avec progression de carrière jusqu’à 10 000 euros » et des gardes rémunérées « sur la base des tarifs actuels des hospitalo-universitaires ». 

Dans la même veine, Thomas Le Ludec, directeur du CHU de Montpellier et membre du bureau de la conférence des DG de CHU, déplore les écarts de rémunérations entre public et privé. Inquiétude partagée par le Dr Rachel Bocher, présidente de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), qui appelle à un nivellement « par le haut » des grilles de rémunérations du secteur public et leur alignement sur le privé. Le chef du service de psychiatre au CHU de Nantes appelle également à une reconnaissance du travail non-clinique, les fameuses « valences ». « Il faut une revalorisation financière et intellectuelle », résume-t-elle.

Du poids aux médecins, aux services, à la CME...

Mais pour le Dr Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP), « il n'y a pas qu'un sujet de rémunération ». L'ORL veut aussi « donner de l'importance » aux médecins hospitaliers. Comment ? En leur donnant un pouvoir décisionnel accru au sein des établissements à tous les étages.

Dans la feuille route Ma santé 2022, Emmanuel Macron a promis à cet égard de redonner « toute sa place » au service hospitalier « espace de référence des soignants ». Beaucoup font en effet le constat que la réforme des pôles a détruit les unités fonctionnelles qu'étaient les services autour de leur chef.

Rendre du pouvoir aux praticiens face à l'administration : c'est aussi la croisade du Dr Thierry Godeau, président de la Conférence nationale des présidents de commission médicale d'établissement (CME). Pour lui, il y a une « perte de sens » des médecins car « ils n'ont pas assez d'emprise sur la gouvernance ». Interrogé sur l'inféodation supposée des CME aux directions des établissements, le praticien rochelais a rejeté l'idée d'un dispositif forcément croupion. « Si la communauté médicale est soudée, la CME est efficace », assure-t-il. Cette observation est partagée par le secteur privé. Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) et lui-même patron d'un groupe de cliniques est formel : « Le directeur qui n'a pas compris qu'il est plus fort avec une CME forte n'a rien compris ».

Martin Dumas Primbault

Source : Le Quotidien du médecin