LE QUOTIDIEN : Le ministre de la Santé vous a demandé un bilan de ce qui a été mis en œuvre dans les recommandations de votre rapport de juin 2020 sur la gouvernance hospitalière. Comment allez-vous procéder ?
Pr OLIVIER CLARIS : Depuis la remise de mon rapport, sept textes de loi sont parus entre mars 2021 et février 2022, dont la loi Rist au printemps de l'année dernière. L’objectif est de savoir ce qui a été mis en place, quelles difficultés ont empêché l'application de mesures, mais aussi quelles dispositions intéressantes pourraient être généralisées. Je remettrai probablement mon état des lieux en février ou mars prochain. C'est le moment de se préoccuper du fonctionnement de l’hôpital. Améliorer la qualité de vie au travail doit être une priorité, et cela passe notamment par le management. Je crois que les soignants privilégieront toujours un service où il y a une bonne ambiance et où cela se passe bien, quand bien même le travail serait un tout petit peu moins intéressant.
Votre rapport était sorti à l’issue de la première vague Covid vécue par les médecins hospitaliers comme un moment où ils avaient pu retrouver une liberté d'action. Ils disent que cet élan est retombé. Partagez-vous ce constat ?
À vrai dire, mes travaux étaient terminés début mars 2020, donc mon rapport n'intégrait pas ce qui s'était passé pendant le Covid. Mais il est vrai que nous avons connu une adaptabilité remarquable pendant l'épidémie. Il y avait énormément d’interactions entre les services hospitaliers et les directions des établissements. Pour autant, ce qui a surtout permis cette réactivité a été la levée du carcan financier. Depuis, nous sommes revenus à la réalité. Et s'agissant de la souplesse dans les organisations depuis la première vague, c'est très variable selon les structures et les vécus de chacun.
Allez-vous néanmoins en tirer des leçons ?
Il est évident que nous devons tirer des enseignements de la pandémie, ne serait-ce que parce que nous avions été capables de faire confiance aux services. C'est quelque chose qui doit être amplifié. Je crois beaucoup au rôle du service et nous l'avions écrit dans notre rapport : le service est la pierre angulaire de l’hôpital. Cependant, un hôpital n’est pas seulement une juxtaposition de services où chacun ne verrait que son propre intérêt. Un service s’inscrit obligatoirement dans un projet d’établissement qui doit répondre aux besoins de tous.
Pour le renforcer faut-il changer le cadre réglementaire ou est-ce une question d’état d’esprit ?
C'est effectivement premièrement une question d’état d’esprit. Il faut avoir la volonté de comprendre les besoins et les particularités des services, ce qui peut être compliqué dans les très gros établissements. Aux Hospices civils de Lyon, il y a plus de 200 services. À l'AP-HP, on compte 80 pôles pour 700 services ! Je ne pense pas qu'il y ait d'incompatibilité entre les services et les pôles, à condition que les seconds respectent les particularités des premiers. Pour autant, l'organisation en pôles ne doit pas être une fin en soi. Tout dépend de la taille de l'hôpital.
Beaucoup de choses retombent sur les épaules des chefs de service. Quelles doivent être les qualités de ces derniers ?
En matière d'organisation de l'hôpital, de management et de qualité de vie au travail, ce qu'on va demander à un responsable – chef de service ou de pôle comme cadre de santé ou directeur des soins – est très important. Vous pouvez avoir des qualités professionnelles remarquables mais ne pas avoir la fibre managériale. Pour être un bon chef de service, il faut être un bon médecin. Mais vous pouvez avoir reçu un prix Nobel sans être forcément un bon chef. Je crois aussi que la chefferie ne doit pas être une récompense et il faut distinguer le grade universitaire de la fonction de manager. Il est nécessaire d'avoir une évolutivité dans sa vie professionnelle : à un moment, on peut être très impliqué dans le soin et à d'autres dans la recherche et l'enseignement ou encore dans la vie collective.
Dans le même temps, j’ai rencontré beaucoup de candidats à la chefferie de service qui m’ont dit : « Je ne peux pas prendre cette responsabilité car je serai moins présent dans le service, et je vais mettre mon équipe en difficulté. » C’est dommage de passer à côté de bons managers parce que leur temps médical n’est pas compensé.
Qu'est-ce qu'un bon chef alors ?
C'est quelqu'un qui est là pour régler les problèmes des autres et pour trancher quand il y a des difficultés. Donc, si vous n’avez pas le temps nécessaire pour écouter les gens, ce n’est pas la peine de postuler à une fonction de chef de service ou de chef de pôle. Un chef doit aussi travailler sur un projet de service avec son équipe médicale et son cadre de santé. Et la formation des managers est fondamentale. C'est quelque chose qui n'est aujourd'hui pas obligatoire, seulement recommandé mais pas toujours facile à mettre en place. Le management devrait même être enseigné dès le 3e cycle des études médicales.
Vous êtes attaché au binôme chef de service/cadre de santé. Pourquoi est-il si important ?
Un binôme qui fonctionne bien offre une certaine sécurité au service, même si cela ne résoudra pas tous les problèmes. Le chef de service et le cadre de santé doivent bien se connaître et se faire confiance. On ne peut pas imposer un chef de service à un cadre qui n'en veut pas et réciproquement !
Sur le plan de la médicalisation de la gouvernance, est-ce que les lignes ont bougé depuis deux ans ?
Il reste des difficultés, même si j’ai vu de vraies avancées dans certains hôpitaux. J'ai vu notamment une charte de gouvernance écrite noir sur blanc qui a permis d’améliorer les relations. Il ne faut pas non plus oublier que la part des soignants non médicaux est bien plus importante que celle des médecins dans l’hôpital. La gouvernance hospitalière doit donc reposer sur le trinôme : directeur général, coordinateur général des soins et président de CME. Le corps paramédical doit être représenté. Et le corps médical doit aussi être associé aux décisions stratégiques et à l’investissement.
Vous plaidez pour de vraies délégations de gestion. Que pensez-vous de l’exemple du CH de Valenciennes où la gestion est en grande partie décentralisée vers les services ?
C’est un bon exemple de ce qui peut se faire quand tout le monde est d’accord pour travailler de la même façon. Mais j’ai aussi rencontré des chefs de service ou de pôle qui n’étaient pas favorables à ce genre d’organisation. Or, on ne va pas forcer quelqu’un à gérer une délégation dont il ne veut pas. Il faut aussi disposer de moyens pour gérer cette délégation, avoir les indicateurs nécessaires sur l’évolution des dépenses et des recettes pour éviter des dérapages.
Que préconisez-vous pour régler le problème de l’intérim médical ?
Les pratiques d’intérim deviennent injustifiables. Certains médecins vont faire six journées de 24 heures et gagner pratiquement autant que moi en un mois ! De plus, les intérimaires n’ont pas toujours toutes les compétences et ne sont impliqués en rien dans la vie de service. Il va donc falloir mettre un terme à ces pratiques. Pour autant, il sera sans doute nécessaire d'instaurer un moratoire pour donner le temps de s'organiser aux établissements qui sont le plus en difficulté par rapport à l'intérim.
La nécessité de mieux valoriser les sujétions de nuit s'est imposée. Comment faut-il concrétiser cet objectif ?
Le travail de nuit doit être mieux reconnu à l'hôpital. Ce qui est particulièrement pénible, ce sont les alternances nuit/jour. Pour autant, les gardes sont inhérentes au travail de médecin. J'ai dû faire plus de 1 300 gardes depuis le début de ma carrière et je continue bien sûr à en prendre. Je pense que tout médecin, quel que soit son type d’activité, doit participer à la permanence des soins jusqu’à un certain âge.
Mais le temps de repos compensatoire doit être respecté. C'est d'ailleurs le problème pour les médecins libéraux. Quand un généraliste travaille la nuit, il n’a pas de repos de sécurité : ce n’est pas normal. Ce n’est pas possible de participer à la PDS dans ces conditions. Il faut donc la valoriser suffisamment pour que la perte de revenus du lendemain ne soit pas un frein. Dans le même temps, il faut favoriser collectivement de nouveaux modes d’organisation pour ne pas pénaliser la patientèle d’un médecin.
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