BIENTÔT DEUX ANS après le vote de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST, dont le titre I a réformé le fonctionnement des hôpitaux et des cliniques), quatre directeurs font le point sur les changements qu’ils observent et gèrent quotidiennement dans leurs établissements.
• Le financement des MIGAC et la T2A
Clinique n° 1 :
« Malgré les évolutions à l’œuvre, la situation reste inéquitable. Ma clinique n’est pas reconnue structure d’urgences, pour la seule raison qu’il y a un hôpital à moins d’un kilomètre. Nous accueillons 14 000 urgences par an. Toute l’équipe paramédicale est entièrement à la charge de la clinique – soit 500 000 euros pour lesquels il n’y a aucune ressource en face. »
CHU n° 1 :
« On peut comprendre que la dotation des missions d’intérêt général, qui n’est jamais très détaillée, fasse l’objet de regards envieux de la part des établissements commerciaux. Mais il faut savoir que certaines de nos MIG ne sont pas financées. Je n’ai pas de financement pour le cancer, ni pour la tumorothèque. C’est pareil pour l’éducation thérapeutique, la télémédecine, le fonctionnement des filières. »
CHU n° 2 :
« Certaines MIG sont rémunérées plus qu’elles ne nous coûtent, et d’autres moins. Le dispositif est illisible. Le système de tarification à l’activité a atteint ses limites, lui aussi est illisible. Il empêche d’avoir une politique cohérente et continue. Mon CHU, à la fin de 2010, était à peu près parvenu à rééquilibrer ses comptes moyennant des conflits sociaux extrêmement durs. Nous avons rajouté d’autres mesures pour l’année 2011. En quelques mois, uniquement par un effet lié au changement de tarification, nous allons faire marche arrière et retourner vers un déficit prévisionnel. »
Clinique n° 1 :
« Le tarif de la séance de dialyse en centre, qui n’a pas augmenté en quatre ans, a diminué de 2,5 % cette année. Le manque à gagner, avec 22 000 séances de dialyse par an, est proche de 200 000 euros. Pour récupérer cette somme on va rogner sur l’entretien des espaces verts, renégocier les contrats de téléphonie etc. Découvrir la variation des 700 tarifs au 1er mars rend impossible la construction d’un budget. Il y a longtemps qu’on ne dégage plus de bénéfice et qu’on ne distribue de dividende. On équilibre tout juste nos comptes. »
Clinique n° 2 :
« C’est faire de la gestion d’épicier. »
CHU n° 1 :
« Et puis il y a les contrôles T2A, qui ont donné lieu à d’importantes polémiques sur les rétrocessions de médicaments. Nous avons fait des contre-enquêtes, avec difficulté de nous faire entendre et comprendre. »
Clinique n° 1 :
« Sur ce point, le public et le privé sont d’accord. Il est normal qu’il y ait des contrôles et des sanctions en cas d’indus. Le problème, ce sont les extrapolations. Mon établissement n’a pas eu de pénalités, mais il ne faut pas grand-chose pour être classé parmi les mauvais élèves. »
Clinique n° 2 :
« Dans ma région, plusieurs cliniques ont eu de lourdes pénalités, jusqu’à dix fois le montant des indus. Cela a été un bras de fer avec l’ARS pour qu’elle admette qu’elle s’était trompée dans son calcul informatique. »
• La formation des internes
CHU n° 2 :
« Le service public en tant que tel n’existe plus, c’est un des éléments essentiels de la loi HPST. Les serviteurs du service public peuvent être choqués par cette évolution, mais c’est ainsi. Les doyens ne sont pas vraiment réceptifs, mais les stages d’internes dans le privé ne doivent pas être un sujet tabou. »
Clinique n° 2 :
« Quatre cliniques dans ma région se sont positionnées dans deux disciplines, cela débutera petit à petit. Il faudra convaincre le doyen et les praticiens hospitaliers qui méconnaissent notre secteur, et qui ne savent pas combien on fait de cancer du colon ou de prothèse de hanche. »
Clinique n° 1 :
« Recevoir des internes en stage ne va pas résoudre les problèmes de recrutement du privé, mais c’est bon pour l’image des cliniques. Les étudiants se disent que ce sont des machines à faire du fric, et que la seule préoccupation d’un certain nombre de dirigeants, c’est de distribuer des dividendes. C’est une réalité que je ne connais pas. On se bat pour accueillir des patients le mieux possible, on participe au service public. Je pense qu’une fois qu’ils auront passé six mois chez nous, les internes en auront une autre idée. Je rassure tout de suite : nous ne voulons pas que la formation des internes soit confiée au privé, comme c’est le cas dans certains Länder allemands. Nous souhaitons juste participer à cette formation. Cela ne doit pas être polémique. »
CHU n° 1 :
« Il faut que les maquettes d’encadrement et de mise en situation des internes soient réelles et respectées. Ceci étant, il est bon que les internes aillent voir un peu dans le privé comment ça se passe. Ce n’est pas plus mal qu’on puisse comparer les deux secteurs. »
• Gouvernance hospitalière, relations médecins/directeurs
CHU n° 1 :
« Ce qu’attendent les directeurs, c’est qu’on en reste là s’agissant de la gouvernance des hôpitaux, même s’il peut y avoir des ajustements. »
CHU n° 2 :
« Oui, qu’on nous lâche les baskets. Nous avons vécu beaucoup de réformes dans des délais extrêmement rapprochés. »
Clinique n° 2 :
« Si je résume, vous voulez être les patrons chez vous comme nous sommes les patrons chez nous ! »
CHU n° 2 :
« Ce slogan a jeté le trouble dans les esprits. Il est facile de provoquer des tensions entre médecins et directeurs, mais beaucoup plus difficile d’en sortir. À l’époque, le président de la CME, le doyen de la faculté de médecin et moi-même avons fait une déclaration commune, une espèce de serment pour que ces querelles n’entrent pas au sein du CHU. Ça n’a pas empêché quelques mails un peu durs de circuler, mais nous avons continué à travailler au niveau du conseil exécutif. Le changement de règles du jeu, avec le passage du conseil exécutif au directoire, a découragé certains responsables. Des chefs de pôle ont jeté l’éponge. Les directeurs n’ont pas démissionné massivement, nous continuons à faire notre boulot, mais nous le faisons dans un contexte proche de l’épuisement professionnel. Attention à ne pas décourager davantage les équipes en réformant la gouvernance une troisième fois. »
CHU n° 1 :
« Le slogan du président, un seul patron à l’hôpital, a faussé la perception qu’ont eue les médecins de la réforme HPST. Certains se sont désintéressés de la CME, si bien qu’il est parfois difficile d’atteindre le quorum. Les médecins ont eu l’impression qu’ils étaient complètement mis de côté, et que désormais il y avait un pouvoir unique et quasi discrétionnaire à l’hôpital. Ce qui n’est évidemment pas le cas. La loi HPST n’a pas modifié fondamentalement la façon qu’on a de piloter les affaires stratégiques. »
La guerre des recrutements médicaux
Clinique n° 2 :
« Les petites cliniques ont énormément de mal à recruter. Le paiement à l’acte est moins attractif que par le passé. Je n’ai pas à me plaindre : mon temps réservé au recrutement est très faible, les équipes s’autogèrent. Ceci étant, j’ai commencé à recruter des praticiens salariés en SSR. La prochaine étape sera de salarier les pédiatres. Pour les autres disciplines, on n’en est pas là. »
Clinique n° 1 :
« Tant mieux si votre clinique recrute. Pour moi, c’est plus compliqué. Le turn over dans mon établissement s’accélère. Je n’ai aucune candidature pour un pédiatre à trouver dans les neuf mois. L’exercice libéral est moins attractif qu’avant. L’hôpital a des atouts, notamment l’organisation autour des 35 heures. Le paiement à l’acte ne suffit plus. Pour attirer les jeunes, pour faire sortir les PH de leur cocon, on les rassure en leur garantissant un certain niveau de rémunération non par le salariat, mais par le paiement de certaines missions. Un urologue qui venait de la région parisienne est devenu médecin DIM à temps partiel pour cela. Il y a 20 ans, on payait à son prédécesseur un droit d’entrée. Tout ça est terminé. Maintenant, l’établissement déroule le tapis rouge, et prend en charge le déménagement et les frais d’installation. »
CHU n° 2 :
« Mon CHU n’a aucun poste vacant, mais 3 ou 4 médecins en partent chaque année. Je reçois chaque médecin avant qu’il ne s’en aille. Tous mettent en avant la différence de rémunération avec le privé. Le statut de clinicien n’est pas la réponse. Si on commence à instaurer des rémunérations à plusieurs vitesses, nos équipes exploseront. Notre problème n’est pas de recruter, mais de ne pas se faire piquer les bons par les cliniques d’à côté. Je ne sais pas si la clause de non-concurrence [une idée un temps envisagée par la loi HPST, NDLR] est la réponse. L’interdiction n’est pas la solution. Mieux vaut rendre les hôpitaux attractifs, en combinant de bons revenus et une vie équilibrée. Le statut de PH doit évoluer, car il reste un véritable problème de rémunération. C’est pour les hôpitaux un handicap important. »
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