« QUAND je me présente comme clinicien hospitalier en congrès, on me demande souvent ce que cela signifie » : près de trois ans après la promulgation de la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires), le Dr Georges Daccache constate que le corps médical n’est pas très au fait de cette nouveauté réglementaire.
Mieux qu’un long discours, l’anesthésiste montre son contrat. Un document de quelques pages qu’il a signé avec la direction du CHU de Caen, l’an passé. Y sont listés des objectifs d’activité. Le Dr Daccache doit prendre 4,5 gardes par mois, assurer un codage exhaustif, développer l’anesthésie locorégionale sous échographie, participer à la démarche qualité. Le praticien doit aussi participer à des projets de recherche clinique et à l’enseignement (chaque année, il doit par exemple encadrer deux thèses et un mémoire).
Ses revenus ? Une part fixe (le salaire d’un PH au 13e échelon) et une part variable, le maximum prévu par la loi : 65 % du salaire d’un PH au 13e échelon. Soit un total de 10 000 euros par mois, l’équivalent de ce que gagne un PU-PH. Avant d’intégrer le CHU de Caen, le Dr Daccache exerçait dans le privé. « J’ai perdu le tiers de mes revenus », dit-il comme pour se justifier. Et il ajoute : « Je ne compte pas mon temps. Les 10 000 euros, je ne les vole pas ». Un revenu tout compris, qui comprend la permanence des soins.
Rémunération différenciée : la voie d’avenir.
C’est en lisant un article du « Quotidien », en 2010, que le Dr Daccache entend parler du contrat de clinicien. Après un début de carrière à l’AP-HP, puis dix années à Caen sous la bannière Générale de santé, à la clinique Saint-Martin, il aspire à autre chose. « J’ai vécu une expérience très positive dans le privé. En dix ans, j’ai endormi 15 000 patients, ce qu’un PH fait en une carrière. Le rythme est triplé, le revenu aussi. Mais l’enseignement et la recherche me manquaient ». Il appelle le CHU et propose ses services comme clinicien. « Avoir des objectifs m’a séduit. Le statut de PH est rigide et obsolète », dit-il. Un tiers des postes sont vacants au pôle d’anesthésie réanimation, et les candidatures sont rares. Pour soulager l’équipe, le chef de pôle avait déjà séniorisé les internes de dernière année, et recruté une dizaine de médecins roumains et bulgares. « Il nous manque encore entre dix et quinze médecins pour fonctionner », expose le Pr Jean-Luc Hanouz. Pragmatique, il fait remonter la demande du Dr Daccache à la direction.
Le CHU de Caen a été le plus déficitaire de France jusqu’en 2010. L’ancien directeur général, épinglé pour mauvaise gestion, a été révoqué*. Son successeur, Angel Piquemal, a décidé de « réintroduire de la rigueur dans la gestion de la rémunération du personnel », et accepte de se lancer dans l’aventure. « Il nous a fallu des mois pour bâtir les contours du contrat qui distingue ce poste des autres. Le Dr Daccache est très expérimenté, les techniques qu’il a instaurées permettent de réduire la durée des séjours », expose Mathilde Estour-Masson, directrice des personnels médicaux. Angel Piquemal, le directeur général, complète : « La part complémentaire variable [prévue pour les chirurgiens et les psychiatres] n’a pas marché. La voie d’avenir, c’est la différenciation de la rémunération en fonction d’objectifs. Mais à l’hôpital, on a du mal. Ce n’est pas facile à assumer, y compris pour les directeurs. Il est plus simple de rémunérer les gens à l’ancienneté ». Sept mois après le recrutement du Dr Daccache, la direction du CHU ne regrette pas son choix. Et rappelle aux éventuels jaloux que quatre autres postes de cliniciens sont ouverts, et à pourvoir.
Statut précaire.
Le chef de pôle, chargé d’évaluer la nouvelle recrue, affiche également sa satisfaction. « Le Dr Daccache a atteint la plupart de ses objectifs », dit-il. Un bémol ? L’intégration, pas évidente. « Un clinicien est un "PH+" qui travaille plus que les autres, résume le Pr Hanouz. Le statut est précaire, les objectifs sont durs. Malgré les explications, cela a été houleux au départ. Les PH qui se bougent pour attirer les internes ont trouvé sa rémunération injuste ». Un interne en stage dans le pôle confirme l’existence de tensions : « Le Dr Daccache m’a appris beaucoup, mais sa présence n’est pas bien acceptée. Cela jase à l’hôpital. Les gens se demandent ce qui l’a motivé à quitter sa clinique ».
À la clinique Saint-Martin, aucun des 17 anesthésistes ne se verrait rejoindre le CHU. Pas même pour un poste de clinicien. Le Dr Éric Mourgeon a pris goût au dynamisme du privé, il ne veut pas retrouver « l’inertie » et « la pesanteur » du public. Le Dr Wilfried Grandin a quitté le CHU caennais en 2010. « Je n’avais plus aucune perspective en tant que PH, c’est un statut moribond qui fait fuir les gens. De la même façon, être PU-PH à vie, ce n’est plus possible. Je ne partage pas le point de vue des syndicalistes proches de la retraite ».
Le Dr Michel Pégoix, anesthésiste, est PH au CHU, membre du SNPHAR-E. S’il apprécie que le Dr Daccache renforce l’équipe, il aimerait qu’il y « mette les formes ». « Pour s’intégrer, il ne faut pas penser qu’on va révolutionner un hôpital poussiéreux parce qu’on vient du privé. Dès son arrivée, le Dr Daccache a voulu modifier l’organisation du chariot d’urgence au bloc ainsi que les protocoles d’analgésie, alors que quelqu’un s’y était déjà attelé. Nous ne sommes pas à l’âge de pierre, nous nous sommes adaptés ».
Georges Daccache dit se sentir bien au CHU. Selon son estimation, il a rapporté 120 000 euros à l’hôpital grâce à l’amélioration du codage des consultations d’anesthésie. Ravi d’avoir « un plan d’action sur trois ans », il voit une limite à l’exercice : « Que ferai-je après ? C’est le gros souci de ce CDD ».
* Joël Martinez a été révoqué par Roselyne Bachelot en 2009, pour avoir engagé plus de 800 000 euros de frais, sur le budget du CHU, afin de rénover son logement de fonction.
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