LE QUOTIDIEN – L’Institut des données de santé (IDS) souhaite ouvrir plus largement les bases de données aux organismes d’études et de recherches à des fins de santé publique. Sur quel constat s’appuie cette volonté ?
CHRISTIAN BABUSIAUX – Pour les études et la recherche en santé publique, il faut pouvoir disposer de données. Faire de l’épidémiologie, connaître les effets de tel ou tel traitement, suppose de rapprocher ces données et de les croiser. Certaines données se trouvent dans les registres, comme celui des décès. D’autres dans les bases concernant les hôpitaux, comme le PMSI (programme de médicalisation des systèmes d’information). D’autres encore dans la base de données sur les remboursements en ville gérée par la CNAMTS, le SNIIRAM (système national d’informations inter-régimes de l’assurance-maladie), sans oublier les bases des assureurs maladie complémentaires en construction.
Notre constat, c’est que certaines bases sont si difficiles d’accès que bon nombre de chercheurs jettent l’éponge. Les unités de recherche, dans les institutions publiques, dans les associations, sont en général de petites unités dont les moyens sont limités. Devoir satisfaire à des procédures compliquées, trouver des données qui ne sont pas exactement ce qu’elles souhaitent, les décourage. Il y a une certaine forme de renoncement. Nous avons tiré la sonnette d’alarme, à la fois dans le rapport que nous adressons annuellement au Parlement, et dans un livre blanc, disponible sur le site Internet de l’Institut.
Combien de temps ces données de santé sont-elles actuellement disponibles ?
Le paradoxe, c’est que le SNIIRAM, par exemple, dispose de toutes les données de remboursement des 66 millions de Français, sous forme anonymisées, mais seulement sur deux ans, plus l’année en cours. Or, pour faire de l’épidémiologie sur des pathologies comme le cancer ou le diabète, il faut disposer d’une profondeur d’historique bien supérieure. En juin 2010, j’ai écrit au président de la CNIL (commission nationale de l’ informatique et des libertés, qui a fixé cette règle) pour lui dire que l’intérêt de santé publique justifierait que l’on regarde différemment cette question. Il m’a répondu que cela justifiait effectivement l’extension de la durée de conservation des données du SNIIRAM. Il s’agit de données totalement anonymisées. Il est donc possible d’étendre la durée de leur conservation. Cette question de l’historique des données, il faut la regarder à partir du sujet central qui est l’intérêt du patient, et non du besoin des gestionnaires de bases de données. De plus, il faut que ces données conservées sur une longue période soient facilement accessibles. Il ne faut pas que ce soit un parcours du combattant. Il faut simplifier.
On peut imaginer que l’affaire du Mediator soit une raison supplémentaire de suivre votre raisonnement ?
Oui. Dans une affaire comme celle-là, il faut des données sur des durées résolument supérieures. Si on retenait par exemple 10 ou 15 ans, on aurait déjà des durées intéressantes. Beaucoup de maladies sont plurifactorielles, et on ne peut pas réaliser d’études épidémiologiques sur ces pathologies si on ne peut rapprocher et croiser des données sur une période longue.
Quelles sont vos préconisations pour améliorer la situation ?
Il faut tout d’abord pouvoir rapprocher, « chaîner », des données issues de différentes bases. Cela suppose un échange entre les différents gestionnaires. Une étape a été franchie entre les organismes complémentaires et les régimes obligatoires d’assurance-maladie grâce à une charte. Ces organismes y ont pris l’engagement mutuel d’échanger des données. Il faut, en second lieu, continuer à constituer de nouvelles bases de données, notamment sur la dépendance des personnes âgées. Il avait été en principe décidé qu’une base de données sur la dépendance serait créée par la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie), mais ce projet a été différé en raison de la perspective d’une réforme de la prise en charge de la dépendance. Il faut trouver un moyen de le relancer.
Ce que vous envisagez est un travail de longue haleine
…
C’est vrai. Ce travail est difficile parce qu’il est au carrefour de deux difficultés. La première est technique. Mais il faut aussi dépasser les enjeux institutionnels, renverser l’ordre des priorités, mettre au centre l’intérêt des patients.
Y a-t-il des obstacles juridiques ?
Non, car il s’agit de données anonymisées. Par rapport à la loi Informatique et libertés et à la pratique de la CNIL, il n’y a aucune difficulté juridique. En revanche, la mécanique de gestion, qui résulte du passé, est trop lourde. Pour avoir un accès aux données du SNIIRAM par exemple, la chaîne de décisions mobilise plusieurs organismes et décideurs. On peut se demander si cette chaîne de décisions est réellement adaptée aux exigences de santé publique. Autant il faut prendre des garanties sérieuses sur les principes, la finalité de santé publique et la confidentialité des données, autant il faut, dès lors que ces garanties sont apportées, que l’accès aux données soit le plus simple possible. Par exemple, les agences sanitaires, la HAS ou encore l’INVS devraient avoir de droit accès aux données de santé anonymisées en raison même de leurs missions.
À quelle échéance pensez-vous que ces recommandations peuvent-elles aboutir ?
Des progrès peuvent être réalisés très vite d’un point de vue technique, comme étendre l’historique des données, ouvrir les bases dans un objectif de santé publique, ou réaliser le chaînage de données de santé issues de bases différentes. D’autres progrès sont plus compliqués ou nécessitent plus de temps, comme constituer de nouvelles bases. Mais ce n’est pas parce que certaines choses sont compliquées qu’il faut renoncer à faire ce qui est simple. Et ce qui est simple aujourd’hui, c’est d’ouvrir plus largement l’accès et d’étendre l’historique des données.
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