LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir déposé ce préavis de grève du lundi 3 juillet, 8h, au mardi 4 juillet, 8h ?
Dr JEAN-FRANÇOIS CIBIEN : Le Ségur a entraîné une césure entre les PH néo-nommés et les anciens nommés (avant octobre 2020, NDLR). Pour ces derniers, la suppression des 3 premiers échelons de la grille salariale des PH a entraîné la perte de 4 ans d’ancienneté. Cela signifie concrètement qu’un certain nombre ne pourront jamais atteindre le dernier échelon.
Deuxièmement, le chantier de la permanence des soins [PDS], qui avait été exclu du champ du Ségur, n’a toujours pas avancé. Certes, les indemnités de garde ont été majorées de 50 %, mais cette majoration est mineure si l’on tient compte de l’augmentation du coût de la vie. D’autant que la pénibilité a considérablement augmenté en 20 ans. Aujourd’hui, la PDS en nuit profonde est assurée quasi exclusivement par les hospitaliers ! Il faut ajouter le problème de la reconnaissance du temps de travail, c'est-à-dire la valorisation de la garde de nuit à trois demi-journées et la garde de 24 heures du dimanche. Enfin, le samedi matin doit être intégré à la PDS.
Trois autres syndicats de médecins hospitaliers – INPH, Snam-HP et CMH – feront grève, eux, le 4 juillet. Pourquoi cette date différente ?
Lors de la rédaction du préavis de grève, nous avons parlé des « négociations bâclées du Ségur ». Cette expression a gêné ces trois syndicats qui, contrairement à nous, avaient signé les accords du Ségur de juillet 2020. Je prends acte de leur décision. L’essentiel, c’est que tous les PH cessent de travailler un temps donné. Avec ce gouvernement, il faut instaurer un rapport de force pour négocier.
Comment expliquez-vous la suspension de la concertation sur l'attractivité des carrières médicales ?
Je pense que Bercy refuse de débloquer le budget nécessaire pour financer des mesures d’attractivité. Il suffit d’écouter les discours récents de Bruno Le Maire. Il a annoncé qu’il fallait économiser dix milliards d'euros, dont deux milliards sur la santé. Le gouvernement a décidé de faire des économies sur le dos des PH et des soignants en général. Cela risque aussi de provoquer des pertes de chance. Et quand un malade n’est pas bien pris en charge à un instant T, il coûte aussi beaucoup plus cher à la société à moyen ou long terme. Le gouvernement sait parfaitement ce que coûtent les professionnels de santé. Mais il ne regarde jamais ce qu’ils peuvent rapporter, en termes de juste soin, de prévention, d’accompagnement des patients. Cela n’est jamais évalué en France, alors que c’est le cas dans d’autres pays.
Combien de services hospitaliers sont actuellement en difficulté ?
Le Ségur, puis la mise en œuvre de loi Rist sur l'encadrement des tarifs de l'intérim médical, ont amplifié la crise de l’hôpital public. Plus de 400 services sont confrontés à des fermetures partielles ou totales. Depuis les accords du Ségur, les démissions de PH ont augmenté de 500 %. C’est du jamais vu ! 30 % des postes de PH sont vacants, voire 40 % dans certaines spécialités. Le taux de mise en disponibilité est aussi très élevé. C’est inquiétant car beaucoup de praticiens arrêtent la médecine pour se lancer dans une autre activité.
Quid de la réforme de l’intérim ?
Nous étions favorables à cette réforme. Mais elle aurait dû s’accompagner d’un volet attractivité pour les PH titulaires. Le gouvernement avait dit que les économies réalisées par la réforme seraient réinvesties dans des mesures d’attractivité. On attend toujours… On nous dit que le PH titulaire est le socle du service et de l’établissement. Mais, au final, on assiste à une épidémie de contrats de motif 2* qui permettent de toucher une fois et demi le salaire des titulaires. Comme peut-on entendre cela ? Ces contrats correspondent à des contrats de cliniciens [supprimés en 2022, NDLR], mais avec tous les avantages du contrat de PH : majorations sur les indemnités de garde, 15 jours de RTT, temps de formation... Pendant ce temps-là, les PH titulaires ont perdu 30 à 40 % de leur pouvoir d’achat en 15 ans. Et cela avant même l'inflation !
Avez-vous toujours confiance en François Braun ?
Je suis en quelque sorte en conflit d’intérêt avec lui, car j’ai travaillé 20 ans à ses côtés pour Samu-Urgences de France. Je le respecte pour ce qu’il fait, mais ce n’est pas lui qui tient les cordons de la bourse. Ce sont les « Thénardier de la finance » qui sont responsables de la dégradation de notre système de santé. Ils ne regardent pas l’impact médico-économique des mauvaises prises en charge, en termes de mortalité et morbidité. Quand on laisse les gens sur les brancards, on peut les tuer ! Selon une étude récente du Pr Yonathan Freund, le risque de mourir aux urgences est 46 % plus élevé pour les patients de plus de 75 ans qui passent une nuit sur un brancard. Mettez-vous dans la tête des urgentistes qui se disent : « J’ai laissé des malades sur des brancards qui vont peut-être mourir par manque de lits ». C’est extrêmement difficile à vivre. On assiste à un effondrement de notre système de santé. Le gouvernement est assis sur un volcan. Le jour où il explosera, je ne sais pas ce que cela va donner. Je n'ai jamais vu quelqu'un réussir à canaliser la lave...
*Le contrat de motif 2 suppose qu’il existe des difficultés particulières de recrutement ou d’exercice des praticiens, pour une activité nécessaire au maintien d’une offre de soins sur un territoire donné
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