La grossesse induit un état d’immunodépression qui déprime l’immunité cellulaire de type Th1 [1). Cette dépression protège le fœtus vis-à-vis d’une agression par les lymphocytes T cytotoxiques maternels mais fragilise la mère vis-à-vis des infections. Elle peut également influencer défavorablement la réponse immunitaire aux vaccins, en particulier vivants atténués.
Il en résulte qu’une femme enceinte devrait être au moins aussi bien protégée contre les maladies à prévention vaccinale que les femmes de même âge non enceintes.
→ La protection vaccinale de la femme enceinte présente en outre d'autres avantages :
– éviter de contracter pendant sa grossesse une maladie susceptible d’être transmise au fœtus par voie transplacentaire,
– transmettre au nouveau-né des anticorps qui vont le protéger durant les premiers mois,
– éviter de contracter une maladie qu’elle pourrait transmettre à son enfant en post-natal : c’est la stratégie du cocooning.
→ Par contre, la vaccination réalisée durant la grossesse soulève des craintes dont la réalité doit être évaluée :
– la survenue d’effets indésirables susceptibles d’influencer défavorablement l’issue de la grossesse,
– le problème de l’avortement se pose surtout pour les vaccinations réalisées en début de grossesse, période où l’avortement spontané est fréquent et risque d’être imputé à la vaccination,
– la crainte qu’un virus vaccinal vivant atténué puisse atteindre le fœtus et entraîner une embryo/fœtopathie, d’autant plus justifiée que le virus sauvage est lui-même capable d’engendrer une d’atteinte fœtale (virus de la rubéole et de la varicelle),
– la crainte que le vaccin ne contienne des produits susceptibles d’entraîner des malformations ou des effets toxiques pour le fœtus. Aux USA, le thiomersal (sel de mercure ajouté dans certains vaccins à titre de conservateur et d’antiseptique) a été accusé de causer l’autisme infantile (2), crainte infirmée ultérieurement (3).
→ Ainsi, concernant vaccination et grossesse, quatre situations peuvent être envisagées :
– une attention devrait être portée à certaines vaccinations qui devraient être effectuées chez une femme ayant un projet de grossesse,
– l’administration de certains vaccins est contre-indiquée durant la grossesse,
– la plupart des vaccins inactivés peuvent être administrés pendant la grossesse, bien que selon les recommandations officielles, ceci soit plutôt à éviter,
– certaines vaccinations font l’objet de recommandations spécifiques durant la grossesse.
LES VACCINATIONS DES FEMMES AYANT UN PROJET DE GROSSESSE
Outre qu’une femme ayant un projet de grossesse devrait être à jour vis-à-vis des vaccinations du calendrier vaccinal, certaines maladies méritent une attention particulière :
La rubéole
Il persiste en France une circulation à bas bruit du virus de la rubéole (4) et une documentation de cas d’infections rubéoliques pendant la grossesse avec un risque de rubéole congénitale. Toute femme en âge de procréer n’ayant pas reçu deux doses de vaccin ROR devrait être vaccinée sans sérologie préalable. On s’assurera qu’elle n’est pas enceinte et on lui recommandera de ne pas initier de grossesse dans un délai d'un mois suivant la vaccination (5).
La varicelle
Le calendrier vaccinal recommande que les femmes en âge de procréer non immunes soient vaccinées contre la varicelle (5). Entre 350 à 500 cas d’infections varicelleuses durant la grossesse pourraient survenir annuellement en France (6). Outre les complications respiratoires maternelles, une varicelle en début de grossesse (avant la 20e semaine) expose à un risque de fœtopathie grave. Au-delà, le risque est celui d’un zona précoce. Une femme qui déclare une varicelle entre cinq jours avant et deux jours après l’accouchement va contaminer son nouveau-né dans 30 % des cas avec un risque élevé de mortalité (6). La vaccination comporte deux doses espacées de 4 à 8 semaines selon le vaccin utilisé. Les consignes énoncées pour la rubéole sont également applicables.
La coqueluche
Actuellement en France, la prévention de la coqueluche chez les nourrissons trop jeunes pour être protégés par leur propre vaccination et à risque élevé de formes graves repose sur la stratégie du cocooning, consistant à vacciner les personnes qui vont être au contact d’un nourrisson durant les six premiers mois de sa vie (5). Ceci s’applique aux femmes ayant un projet de grossesse, n’ayant pas reçu de vaccin contenant la valence coquelucheuse depuis plus de 5 ans si âgées de moins de 25 ans, ou depuis plus de 10 ans si âgées de plus de 25 ans. La vaccination comporte une dose de vaccin quadrivalent dTcaP (Répévax ou Boostrix Tetra).
LES VACCINATIONS CONTRE-INDIQUÉES DURANT LA GROSSESSE
Ceci concerne tous les vaccins vivants atténués : rougeole, rubéole oreillons ainsi que varicelle et fièvre jaune. La base de cette contre-indication est théorique, aucune atteinte fœtale liée à un virus vaccinal n’ayant été démontrée. C’est en particulier le cas du vaccin rubéole avec plus de 3500 femmes vaccinées par erreur en début de grossesse (7). Il en est de même pour le vaccin contre la varicelle. En pratique, la contre-indication doit être respectée ainsi que la recommandation de ne pas initier de grossesse dans le mois suivant l’administration d’un vaccin vivant atténué. Par contre, en cas de vaccination par erreur d’une femme enceinte, aucune mesure thérapeutique ou de surveillance ne doit être appliquée. Pour la fièvre jaune, en cas de voyage inévitable dans une zone où la maladie circule ou un pays à vaccination obligatoire, une femme enceinte peut être vaccinée en appréciant la balance bénéfice/risque (8).
PEUT-ON ADMINISTRER LES VACCINS INACTIVÉS AUX FEMMES ENCEINTES ?
Il n’existe pas de contre-indication spécifique à l’administration des vaccins inactivés pendant la grossesse. Cependant, les femmes enceintes étant systématiquement exclues des essais cliniques, le RCP des vaccins mentionne l’absence de données de tolérance chez la femme enceinte. Ce n’est plus le cas des vaccins contre la grippe (cf. infra) ou contre le tétanos (cf. infra), le programme élargi de vaccination (PEV) dans les pays du tiers-monde ayant permis de confirmer l’excellent profil de tolérance des vaccins contenant les valences diphtérie, tétanos et polio. De la même façon, la vaccination des femmes enceintes contre la coqueluche mise en place dans de nombreux pays a permis de générer des données de tolérance des vaccins contenant les valences D, T et coqueluche ou D, T, P et coqueluche. Ceci est désormais mentionné dans le RCP des deux vaccins dTcaP disponibles en France et dont « l’utilisation peut être envisagée au cours du troisième trimestre de grossesse ».
Concernant les autres vaccins inactivés, on continuera d’éviter de les administrer aux femmes enceintes. Toutefois, la vaccination est justifiée en cas d’exposition à un risque infectieux – contexte épidémique, risque professionnel, séjour en pays d’endémie (5).
Par contre, concernant les vaccins contre le papillomavirus, les données de tolérance disponibles sont insuffisantes pour autoriser leur administration à une femme enceinte (9). Le RCP du vaccin Gardasil 9 précise que « la vaccination doit être reportée après le terme de la grossesse ».
LES VACCINS SPÉCIFIQUEMENT RECOMMANDÉS
Le tétanos
Le tétanos néonatal (tétanos ombilical) représentait un fléau dans les pays du tiers-monde. Dans le but de protéger de manière indirecte les nouveau-nés par les anticorps maternels transmis, l’OMS a mis en place à partir de 1974 un programme de vaccination des femmes enceintes contre le tétanos qui a permis de réduire l’incidence de cette pathologie de plus de 90 % et la mortalité liée au tétanos néonatal de plus de 95 % (10).
La grippe
En France, la vaccination contre la grippe saisonnière est recommandée chez la femme enceinte, quel que soit le stade de la grossesse (5) avec un double objectif :
– Protéger les femmes enceintes des complications de la grippe. Si leur surmortalité ou une augmentation du risque de morts fœtales n’ont été démontrées que lors des pandémies, le risque d’hospitalisation pour complication cardiovasculaire ou respiratoire est majoré chez les femmes enceintes, surtout aux 2e et 3e trimestres de la gestation (11). L’efficacité de la vaccination est de l’ordre de 50 % pour la prévention de la grippe et de 25 % pour la prévention des syndromes grippaux (12).
– Protéger les nourrissons durant les premiers mois de la vie grâce aux anticorps maternels transmis. Une efficacité protectrice de la vaccination maternelle dans le 3e trimestre variant de 33 % à 63 % pour la prévention de la grippe dans les six premiers mois a été démontrée dans trois essais cliniques randomisés (13, 15). Un autre essai (16) a montré une prévention de 57 % des infections respiratoires toutes causes confondues. Plusieurs études observationnelles apportent des résultats similaires (12). En l’absence d’étude randomisée évaluant la tolérance des vaccins grippaux administrés durant la grossesse, les différents systèmes de pharmacovigilance ne retiennent pas de signal particulier, tant pour ce qui concerne la femme que l’issue de la grossesse. La pandémie de 2009 a permis d’enrichir les données de pharmacovigilance et de confirmer la bonne tolérance des vaccins grippaux administrés pendant la grossesse, y compris ceux contenant un adjuvant (17). Une méta-analyse récente conclut à l’absence d’effet significatif de la vaccination grippale saisonnière sur le risque d’avortement ou de mort fœtale (12).
Malgré tout, surtout en France, cette vaccination jouit d’un faible niveau d’acceptabilité, aussi bien dans le public que chez les professionnels de santé, conduisant à des taux de couverture vaccinale inférieurs à 10 %.
La coqueluche
La protection des nourrissons de moins de six mois représente un élément essentiel de la stratégie de prévention de la coqueluche, qui reposait jusqu’à une période récente sur le cocooning. Cette stratégie est difficile à mettre en œuvre et s’avère d’efficacité limitée. Entre 2011 et 2013, certains pays dont les états-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont fait face à une forte recrudescence de la coqueluche et mis en place une stratégie de vaccination des femmes enceintes avec un double objectif :
– prévenir la coqueluche chez la mère, souvent impliquée dans la contamination des jeunes nourrissons,
– protéger le nourrisson dans ses premiers mois grâce aux anticorps maternels transmis.
Une efficacité d’environ 90 % de cette vaccination pour la prévention de la coqueluche dans les premiers mois de vie est démontrée par quatre études importantes (18, 21). Par ailleurs, une revue de la littérature (22) a montré que la vaccination par un vaccin combiné coqueluche, diphtérie et tétanos pendant le deuxième ou le troisième trimestre de la grossesse n'était pas associée à une fréquence plus élevée des événements indésirables chez la mère et chez l'enfant. à ce jour, une douzaine de pays (23) ont mis en place cette stratégie avec quelques différences concernant le moment de la vaccination (deuxième ou plus souvent troisième trimestre de la grossesse).
La vaccination doit être répétée à chaque grossesse.
Concernant la réponse immune ultérieure des nourrissons à leur propre vaccination, des études ont montré que la réponse sur certaines valences (notamment coqueluche et diphtérie) était inférieure chez les nourrissons de mères vaccinées à celle des nourrissons de mères non vaccinées. Cependant, la signification clinique en matière de protection de cette moindre réponse est inconnue (24).
→ À ce jour, la France, moins affectée que certains pays par la recrudescence des années 2011-2013, n’a pas mis en place cette stratégie, sauf à Mayotte qui fait face à une épidémie de coqueluche avec des couvertures vaccinales insuffisantes (23). Des doutes importants existent, surtout sur l'acceptabilité de cette mesure, d’autant que les études réalisées à l’étranger montrent qu’en dépit d’une conscience de la gravité de la coqueluche du nourrisson, nombre de femmes sont réticentes à recevoir une vaccination et qu’une proportion élevée de professionnels de santé ne la proposent pas (25).
Bibliographie
1- Brunham RC, Martin DH, Hubbard TW, Kuo CC, Critchlow CW, Cles LD, & al. Depression of the lymphocyte transformation response to microbial antigens and to phytohemaglutinin during pregnancy. J Clin Invest 1983; 72: 1629-38
2- Parker SK, Schwartz B, Todd J, Pickering LK. Thimerosal-containing vaccines and autistic spectrum disorder: a critical review of published original data. Pediatrics 2004; 114: 793-804
3- Thompson WW, Price C, Goodson B, Shay DK, Benson P, Hinrichsen VL, & al. Early thimerosal exposure and neurospychological outcomes at 7 and 10 years. N Engl J Med 2007 ; 357 : 1281-92
4- Santé Publique France. Rubéole.http://invs.santepubliquefrance.fr/Dossiers-thematiques/Maladies-infect…
5- Calendrier des vaccinations et recommandations vaccinales 2018. Janvier 2018. http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/calendrier_vaccinations_2018.p…
6- Floret D. Varicelle et zona de l’enfant. EMC - Pédiatrie/Maladies infectieuses 2018;0(0):1-14 [Article 4-310-B-20].
7- Priorix http://base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr/affichageDoc.php?speci…
8- Recommandations sanitaires pour les voyageurs 2018. BEH Hors série 25 Mai 2018
9- Arbyn M, Xu L, Simoens C, Martin-Hirsch PPL. Prophylactic vaccination against human papillomaviruses to prevent cervical cancer and its precursors. Cochrane Database of Systematic Reviews 2018, Issue 5. Art. No.: CD009069. DOI: 10.1002/14651858.CD009069.pub3
10- OMS. Tétanos neonatal. https://www.who.int/immunization/monitoring_surveillance/burden/vpd/WHO…
11- Neuzil KM , Reed GW, Mitchel EF, Simonsen L, Griffin MR. Impact of influenza on cardiopulmonary hospitalisation in pregnant women. Am J Epidemiol 1998; 148: 1094- 1102
12- Demicheli V, Jefferson T, Ferroni E, Rivetti A, Di Pietrantonj C. Vaccines for preventing influenza in healthy adults. Cochrane Database of Systematic Reviews 2018, Issue 2. Art. No.: CD001269. DOI: 10.1002/14651858.CD001269.pub6
13- Zaman K, Roy E, Arifeen SE, Rahman M, Raqib R, WilsonE, & al. Effectiveness of maternal influenza immunization in mothers and infants. N Engl J Med 2008; 359:1555–64
14- Madhi SA, Cutland CL, Kuwanda L, Weinberg A, Hugo A, Jones S, et al. Influenza vaccination of pregnant women and protection of their infants. N Engl J Med. 2014;371(10):918–31
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