Monsieur D, 79 ans, souffre d’une maladie de Marfan. Une intervention chirurgicale (greffe D6-L5) effectuée à l’adolescence (à 17 ans), n’avait pas semblé améliorer son état clinique. Un anévrisme de l’aorte a été diagnostiqué (non documenté). Il y a 5 ans, devant une très grande asthénie, une hypothyroïdie avait été découverte. Le patient est par ailleurs très dépressif et ce d’autant qu’à son invalidité « orthopédique » s’ajoute une quasi-cécité (myopie bilatérale, rétinite pigmentaire luxation du cristallin et cataracte). Il ne sort plus de chez lui et bénéficie d’une auxiliaire de vie. La visite trimestrielle de son médecin généraliste est demandée par le patient mais à chaque fois, le médecin constate que l’antidépresseur n’est pas pris et la lévothyroxine très irrégulièrement. Seule la kinésithérapie à domicile est acceptée. Il prend tout de même le calcium la vitamine D et de l’alfuzosine qui semble améliorer son incontinence urinaire. Sa dernière hospitalisation date de 2003 avait conduit à la réalisation d’un nouveau corset lombaire. Il refuse le bilan cardiovasculaire, pourtant très souhaitable.
COMMENT ANALYSER CETTE OBSERVATION ?
Pour comprendre la situation dans laquelle se trouvent et le malade et le médecin, il est nécessaire d’en savoir plus. Le patient est un vieux monsieur invalide aveugle, ancien fonctionnaire (ministère des finances), dont le fils d’un premier mariage est mort à 40 ans d’une rupture d’anévrisme dans le cadre de sa maladie de Marfan. Monsieur D. s’est remarié avec une femme de vingt ans moins âgée, en a divorcé avant de l’épouser à nouveau. Cette femme est aussi jeune, vive, coquette et dynamique que lui est vieux, ralenti, reclus, déprimé. Elle vend des pantalons dans un grand magasin parisien et retraitée depuis peu, elle s’est trouvé un autre travail. Elle est également suivie par le même médecin généraliste. La kinésithérapeute qui vient à domicile et le médecin généraliste sont des femmes… « dynamiques ». La relation des époux est très complexe ; ils sont catholiques et la notion de culpabilité obsède sa femme tandis que Monsieur D. se plaint de « maltraitance ». Une équipe spécialisée a mené une enquête à domicile sans que la notion de maltraitance soit retenue. Le patient confie à la kinésithérapeute que les « trois femmes » sont liguées contre lui et que toutes espèrent sa mort prochaine. Sa femme resterait auprès de lui uniquement pour des questions financières et lui ne lui accorde que peu d’argent car elle est trop « dépensière » et qu’il le garde pour des petits enfants (les enfants de ses deux fils) bien que de son fils survivant ou de ses petits enfants, il n’ait jamais aucune visite.
COMMENT COMPRENDRE L’INOBSERVANCE DE CE PATIENT ?
Voici un homme qui, à l’âge de 17 ans est cloué chez lui, c’est le cas de le dire, par une greffe osseuse au moment où ses amis explorent leur adolescence. Il surmonte ce handicap se marie une première fois, trouve un emploi stable et cette période se termine par la mort brutale de son fils à qui il aurait « donné sa maladie » (il dit ne pas avoir été informé du caractère héréditaire de cette affection ; « si j’avais su je n’aurais pas eu d’enfant ! »). Sa culpabilité détruit son premier mariage. Il épouse une amie d’enfance beaucoup plus jeune que lui et replonge dans une vie de couple difficile. A sa propre ambivalence s’ajoute celle de cette jeune femme qui reste avec lui jusqu’à une première séparation puis faute d’argent (?) ou culpabilité aidant (?) se remarie avec lui. Ils sont si différents ; tout les oppose. Et le temps ne cesse de les séparer : lui de plus en plus invalide, dépendant, solitaire, et elle débordante de vie, coquette et n’envisageant pas une minute de passer sa retraite enfermée avec lui dans ce petit appartement où il a peu à peu occupé toutes les pièces.
COMMENT GÉRER L’INOBSERVANCE DE CE PATIENT ?
Une première remarque : le médecin généraliste est le médecin traitant du couple ; c’est une première difficulté voire un piège qui s’est refermé sur le médecin puisque le patient allègue la coalition féministe (la kinésithérapeute travaille dans le même cabinet) qui s’est liguée contre lui et il est plus que probable que ce ne soit pas seulement un fantasme. A leur insu ou pas, les trois femmes qui entourent le patient de leurs soins partagent leur lassitude en voyant leurs efforts quotidiens voués à l’échec. Car au fond, la kinésithérapeute ne soulage pas le malade, pas plus que l’épouse ne le réconforte (il s’oppose à tout ce qu’elle entreprend) et pas plus que le médecin ne l’aide car ses prescriptions sont aussi vaines que les conseils. Il paraîtrait judicieux pour débloquer cette situation de mettre un terme à cette connivence de fait.
-› Question : le patient pourrait par exemple changer de médecin puisqu’il n’en est pas satisfait. Que ne le fait-il ? Ce patient est déprimé depuis très longtemps mais refuse ce diagnostic : « n’importe qui à ma place », (aveugle, vieux, seul et invalide) serait dans cet état. Certes, mais un anti-dépresseur pourrait peut-être diminuer sa souffrance morale. Il est ralenti par une hypothyroïdie : ne pourrait il pas prendre sa thyroxine ? Il est seul mais refuse de sortir avec son auxiliaire de vie, a renvoyé la psychothérapeute dans ses foyers et s’oppose à toute idée de cure thermale ou autre temps de séparation ponctuelle qui servirait de soupape aux protagonistes. Il devrait être suivi pour sa maladie de Marfan et en particulier pour son anévrisme de l’aorte pour lequel un écho-doppler serait indispensable pour préciser son éventuelle évolution. La mort de son fils d’une rupture d’anévrisme fait probablement obstacle : le patient n’a pas envie de savoir.
-› Question : quel est le sens de tous ces refus ? Il est probable que ce patient n’attendant plus rien de l’avenir ne se sente en vie que dans l’opposition systématique, dans la revendication toutefois sans espoir. Il s’est figé dans une situation dans laquelle il a distribué les rôles de son entourage soignant et familial. Bénéfice secondaire : il est la seule victime et tous les autres ont le mauvais rôle. Pourquoi ne pas l’accepter ? Bien sûr, il ne s’agit que d’une hypothèse mais elle a l’avantage d’introduire un peu de sérénité dans une atmosphère sinon plutôt délétère et de favoriser la façon d’être du médecin plutôt que sa façon de faire.
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