INTRODUCTION
L’hypertension artérielle (HTA) est la première maladie chronique en France, avec au moins 12 millions de malades. Elle se définit par un niveau de pression artérielle (PA) qui est en permanence au-delà des seuils établis par les différentes sociétés savantes et qui est associé à un surrisque d’évènement cardiovasculaire. L’HTA est donc une situation chronique stable qui justifie une prise en charge médicamenteuse quotidienne tout le reste de la vie du patient. Cette stabilité est une caractéristique fondamentale, qui permet l’utilisation en toute sécurité de traitement antihypertenseur pris quotidiennement sans avoir à contrôler le niveau de PA avant la prise du traitement.
La poussée hypertensive est tout l’inverse. Il s’agit par définition d’une situation aiguë, imprévisible et qui échappe donc à toute stratégie thérapeutique de prévention. La poussée hypertensive peut révéler une authentique HTA mais peut également être tout à fait isolée.
Si la poussée hypertensive est le plus souvent bénigne, il faut savoir identifier les véritables urgences et les prendre en charge. C’est l’objectif de cette mise au point, qui distingue trois situations : l’urgence vitale avec poussée hypertensive, l’urgence hypertensive avec atteinte d’organe cible aussi appelée HTA maligne ou MOD-HTN (1) et la poussée tensionnelle bénigne.
L’URGENCE VITALE AVEC POUSSÉE HYPERTENSIVE RÉACTIONNELLE
C’est le cas de l’œdème aigu du poumon (OAP) massif, de la dissection aortique et de l’accident vasculaire cérébral (AVC). Ces trois situations ne sont pas du domaine de la prise en charge en cabinet médical. Il n’y a pas de difficulté diagnostique et le patient doit être transféré sans délai en transport médicalisé vers le centre compétent le plus proche. Le déséquilibre tensionnel n’est pas la cause de l’urgence vitale mais simplement une réponse au stress induit par le problème initial. On préférera toujours avoir une réponse hypertensive à ces urgences vitales qu’un patient choqué avec un pronostic vital alors catastrophique… Les objectifs tensionnels sont variables selon le type d’urgence (2).
L’URGENCE HYPERTENSIVE AVEC ATTEINTE D’ORGANE CIBLE : HTA MALIGNE
L’HTA maligne ou MOD-HTN (hypertension with multi-organ damage) se définit par une poussée hypertensive avec une atteinte de plusieurs organes cibles en même temps et de manière pauci-symptomatique : cérébrale (rétinopathie hypertensive évoluée, encéphalopathie hypertensive avec tableau de confusion, ralentissement idéo-moteur, plus rarement tableau d’AVC), cardiaque (hypertrophie ventriculaire gauche importante, élévation de la troponine, plus rarement tableau d’insuffisance cardiaque), rénale (insuffisance rénale faiblement protéinurique, plus rarement insuffisance rénale terminale). Dans le cas d’une atteinte de plus de 3 organes cibles, on parle d’HTA maligne ou MOD-HTN. Cette atteinte conjointe de l’ensemble des organes cibles est en rapport avec une atteinte de la microcirculation secondaire à un emballement du système rénine-angiotensine (3). Dans ce cadre, le déséquilibre tensionnel est franc, le plus souvent au-delà de 200 mm Hg pour la PA systolique. Ce déséquilibre tensionnel n’est pas suffisant pour parler d’HTA maligne. Il doit être accompagné d’atteintes d’organes cibles qui peuvent ne pas avoir de signes cliniques, ce qui est particulièrement vrai pour l’insuffisance rénale qui nécessite donc d’être recherchée.
En pratique, il faut éliminer une atteinte d’organe cible, ce qui se fait facilement et de manière rapide en reprenant les données du bilan de l'OMS de l’HTA, c'est-à-dire :
→ L’évaluation cardiaque par un ECG : à la recherche de signes d’hypertrophie ventriculaire gauche (onde R en AVL supérieure à 6 mm avec des anomalies de la repolarisation dans les dérivations précordiales et latérales hautes). Idéalement, un dosage de la troponine et du BNP. En cas d’anomalies sur l’un de ces tests, un transfert en milieu hospitalier est nécessaire.
→ L’évaluation de la fonction rénale : à la recherche d’une insuffisance rénale aiguë. Lorsqu’elle est associée à une tendance à l’hypokaliémie (K+ < 3,8 mmol/L), il faut évoquer une HTA maligne.
→ L’évaluation neurologique et ophtalmologique est avant tout clinique, avec la recherche d’un déficit fonctionnel ou d’un tableau d’encéphalopathie avec confusion, convulsions.
En cas d’argument pour une atteinte d’organe cible associée à une poussée tensionnelle, il faut hospitaliser le patient en milieu spécialisé et idéalement dans une unité d’HTA.
Dans cette situation particulière, un traitement anti-hypertenseur est nécessaire de manière relativement intensive et sous surveillance clinique et biologique rapprochée.
Dans notre unité, nous proposons une titration d’IEC pour casser l’emballement du système rénine-angiotensine, associée à un traitement par inhibiteur calcique (4).
LA POUSSÉE TENSIONNELLE BÉNIGNE
La poussée hypertensive bénigne est une situation clinique très banale (5, 6). Il s’agit d’un motif de passage aux urgences fréquent entretenant par son environnement stressant le déséquilibre tensionnel.
Elle se caractérise par un cortège de symptômes peu spécifiques comme le mal de tête, la fatigue, l’étourdissement, des bouffées vasomotrices. Associées à ces signes, les PA sont élevées, mais en général inférieures à 200 mm Hg pour la PA systolique (5).
Les causes de ces poussées tensionnelles ne sont pas bien connues. Elles concernent le plus souvent des femmes après 50 ans, et des déséquilibres hormonaux sont fréquemment proposés comme explication. Cela sous-entend que ces poussées tensionnelles surviennent généralement par crises successives sur un intervalle de temps relativement court (quelques mois). Spontanément, les espaces libres entre les crises augmentent jusqu’à disparaître (7).
Du fait de leur caractère imprévisible, la mise en place de mesures de prévention est impossible. Ainsi, en dehors de la crise en tant que telle, il n’y a pas lieu de mettre en œuvre de traitement particulier.
En pratique
■ On élimine une atteinte d’organe cible par réalisation d’un bilan de l'OMS.
■ Si le sujet est hypertendu, il faut vérifier sous son traitement habituel, et en dehors de la poussée hypertensive, que le traitement est adapté à la situation tensionnelle chronique, par une série d’automesures tensionnelles ou par un holter tensionnel.
■ Si le sujet est non hypertendu, il faut réaliser ce type d’enregistrement tensionnel afin de diagnostiquer éventuellement une authentique HTA, qui justifierait alors la mise en place d’un traitement chronique.
En effet, l’élévation transitoire même forte du niveau de PA sur quelques heures ou même quelques jours ne justifie pas la mise en place d’un traitement antihypertenseur dont le bénéfice n’a été démontré que dans les situations chroniques. La dangerosité de l’hypertension est à mesurer sur des années d’exposition, quand la poussée tensionnelle se caractérise par une échelle de temps de quelques heures à quelques jours. À titre d’exemple, lors d’un effort physique intense, la PA va s’élever jusqu’à des niveaux très élevés supérieurs à 250 mm Hg de systolique et ce pendant plusieurs heures si l’effort est soutenu, sans que personne n’ait l’idée de proposer un traitement antihypertenseur pour diminuer ce niveau de PA. Notre réseau sanguin est tout à fait capable de résister à ce niveau de PA plusieurs jours sans risque d’accident vasculaire, en particulier cérébral.
Le piège de la médication à la demande
Une attitude courante est de proposer dans les situations de poussées tensionnelles la prise d’un inhibiteur calcique à libération rapide mais à demi-vie courte, comme la nicardipine. Il n’a pourtant jamais été montré un quelconque surrisque cardiovasculaire associé à ces situations pourtant fréquentes. Cette attitude consistant à donner un antihypertenseur a pour objectif de rassurer le malade comme le médecin, mais n’est pas recommandée. En prescrivant ce traitement, la « maladie » du patient se trouve légitimée et renforcée : si on le traite, c’est qu’il risque vraiment quelque chose (CQFD). D’autre part, on entretient le stress autour de ces poussées tensionnelles avec une multiplication des mesures de la PA par le patient lui-même, qui va alimenter encore son stress. Enfin, la chute brutale de PA qui peut être induite (même par des faibles doses de nifédipine par exemple) peut avoir des conséquences cliniques graves, en particulier d’ischémie cérébrale (8).
Il faut donc casser ce cercle vicieux en expliquant le caractère bénin de ces crises et faire mesurer au patient sa PA non pas quand il en ressent le besoin, mais seulement au cours d’automesures tensionnelles bien faites. Chez les patients trop anxieux, une solution peut être de leur retirer leur appareil à tension, qui peut être une source d’anxiété parfois majeure. Cette poussée tensionnelle est donc dans la grande majorité des cas secondaire à un état de stress (quelle qu’en soit la cause : hormonale, algique…) et ne s’accompagnant d’aucune autre anomalie en particulier biologique. Ce qui permet de rassurer le patient et de le laisser rentrer chez lui en confiance. Il faut lui proposer une consultation à distance avec entre une série d’automesures tensionnelles.
CONCLUSION
La poussée tensionnelle est donc une situation clinique fréquente qui est dans l’immense majorité des cas bénigne. Les chiffres de PA seuls ne doivent pas inquiéter, quels que soient ces chiffres. En revanche, ce déséquilibre impose de rechercher une atteinte d’organe cible qui, si elle est avérée, justifie une prise en charge spécifique en milieu hospitalier spécialisé. Un examen clinique et un bilan de l'OMS permettent de préciser l’atteinte d’organe cible de manière simple et efficace. En cas d’atteinte d’organe cible, une prise en charge spécialisée est nécessaire en urgence. En l’absence d’atteinte d’organe cible, un contrôle tensionnel par automesure tensionnelle est suffisant (TAB. 1).
Bibliographie
1 - Cremer, A., F. Amraoui, et al. (2016). "From malignant hypertension to hypertension-MOD: a modern definition for an old but still dangerous emergency." Journal of human hypertension 30(8): 463-466.
2 - van den Born, B. H., G. Y. H. Lip, et al. (2019). "ESC Council on hypertension position document on the management of hypertensive emergencies." European heart journal. Cardiovascular pharmacotherapy 5(1): 37-46.
3 - van den Born, B. J., R. P. Koopmans, et al. (2007). "The renin-angiotensin system in malignant hypertension revisited: plasma renin activity, microangiopathic hemolysis, and renal failure in malignant hypertension." American journal of hypertension 20(8): 900-906.
4 - Rubin, S., A. Cremer, et al. (2019). "Malignant hypertension: diagnosis, treatment and prognosis with experience from the Bordeaux cohort." Journal of hypertension 37(2): 316-324.
5 - Zampaglione, B., C. Pascale, et al. (1996). "Hypertensive urgencies and emergencies. Prevalence and clinical presentation." Hypertension 27(1): 144-147.
6 - Patel, K. K., L. Young, et al. (2016). "Characteristics and Outcomes of Patients Presenting With Hypertensive Urgency in the Office Setting." JAMA internal medicine 176(7): 981-988.
7 - Martin, J. F., E. Higashiama, et al. (2004). "Hypertensive crisis profile. Prevalence and clinical presentation." Arquivos brasileiros de cardiologia 83(2): 131-136; 125-130.
8 - Haas, D. C., D. H. Streeten, et al. (1983). "Death from cerebral hypoperfusion during nitroprusside treatment of acute angiotensin-dependent hypertension." The American journal of medicine 75(6): 1071-1076.
Liens d'intérêts
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