Efficacité comparée de deux posologies d’aspirine dans les maladies cardiovasculaires établies
Comparative Effectiveness of Aspirin Dosing in Cardiovascular Disease. Jones WS, Mulder M, Wruck LM, et al for the ADAPTABLE Team. N Engl J Med 2021;384:1981-90. https://doi.org/10.1056/NEJMoa2102137
CONTEXTE
Les maladies cardiovasculaires athéroscléreuses (MCVA) sont la deuxième cause de mortalité en France. Pour les patients en prévention secondaire, l’efficacité de l’aspirine à faible dose pour réduire le risque d’événement cardiovasculaire clinique est bien démontrée (1). Cependant, plusieurs études observationnelles et quelques analyses post hoc d’essais randomisés anglo-saxons ont alimenté une controverse sur la posologie la plus appropriée (2) entre 81 et 325 mg/jour. En l’absence de recommandation américaine sur la posologie à privilégier (3), les auteurs de cet essai randomisé se sont appuyés sur le réseau Pcori issu d’associations de patients appelées Patient-Centered Outcomes Research Institute (4) pour tenter de faire la part des choses entre les deux doses.
OBJECTIFS
Comparer l’efficacité et la sécurité d’emploi de deux posologies d’aspirine (81 et 325 mg/j) chez des patients atteints de MCVA établie.
MÉTHODE
Essai randomisé pragmatique de comparaison directe en ouvert conduit dans 40 centres médicaux affiliés à Pcori. Les patients ont été sollicités soit au cours d’une consultation avec leur médecin, soit via un courrier électronique ou postal ou un appel téléphonique adressé à ceux inscrits dans la base de données du réseau de patients de cet institut susceptibles de participer.
Pour être inclus, les patients devaient avoir un antécédent documenté d’évènement cardiovasculaire clinique – infarctus du myocarde (IdM) ou revascularisation coronaire quelle qu’en soit la technique ou accident vasculaire cérébral (AVC) ou sténose ≥ 75 % sur au moins une artère coronaire objectivée au cours d’une coronographie antérieure ou maladie coronaire ischémique chronique (angor) – ET au moins un critère dit d’« enrichissement » tel que âge ≥ 65 ans, diabète (type 1 ou 2), consommation de tabac en cours, artérite des membres inférieurs clinique documentée, insuffisance cardiaque (systolique ou diastolique), pression artérielle systolique ≥ 140 mmHg ou LDL-cholestérol ≥ 1,30 g/L.
Les patients sélectionnés ont été randomisés pour recevoir soit 81 mg d’aspirine, soit 325 mg/jour en une prise.
Le critère de jugement principal d’efficacité était composé du premier événement clinique comprenant les décès toutes causes confondues et les hospitalisations pour IdM ou AVC. Les critères secondaires étaient les revascularisations coronaires, chaque composant du critère principal d’efficacité et les accidents ischémiques transitoires hospitalisés.
Pour la tolérance, le critère de jugement principal était les hémorragies nécessitant une hospitalisation pour transfusion. Au cours du suivi, les patients ont été contactés tous les 3 à 6 mois pour évaluer leur observance, la consommation éventuelle de nouveaux médicaments et les évènements cliniques (adjudiqués ensuite en insu de la randomisation par un groupe d’experts indépendants). L’analyse statistique a été faite en intention de traiter à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel. L’analyse des critères secondaires n’était pas hiérarchisée, donc n’évitant pas l’inflation du risque alpha. Les résultats sont présentés en hazard ratio (HR) avec un intervalle de confiance à 95 % (IC95), mais sans IC95 pour les critères secondaires d’efficacité et les analyses en sous-groupes.
RÉSULTATS
Entre avril 2016 et juin 2019, approximativement 450 000 patients éligibles ont été sollicités. Parmi eux, 32 164 se sont portés volontaires pour participer à l’essai et 15 076 ont été inclus et randomisés : 7 540 dans le groupe 81 mg/j et 7 536 dans le groupe 325 mg. La durée médiane de suivi a été de 26,2 mois (mini-maxi = 19,0-34,9).
À l’inclusion, les caractéristiques démographiques et cliniques des deux groupes étaient similaires : âge médian = 67,6 ans, poids médian = 90,0 kg, 68,7 % étaient des hommes, 83,2 % étaient hypertendus, 37,7 % diabétiques, et 9,2 % fumaient. 37,3 % avaient un antécédent d’IdM et 53 % de revascularisation coronaire dans les cinq ans précédant l’inclusion. Par ailleurs, 89 % des patients prenaient déjà de l’aspirine avant la randomisation (dont 85,3 % à 81 mg/j), et 22,5 % recevaient un autre antithrombotique en sus de l’aspirine sans différence entre les deux groupes.
Sur le critère principal d’efficacité durant la médiane de suivi de 26,2 mois, il y a eu 590 patients (7,28 %) avec un premier événement dans le groupe 81 mg et 569 (7,51 %) dans le groupe 325 mg : HR = 1,02 ; IC95 = 0,91-1,14, p = 0,75. Par ailleurs, il y a eu 315 (3,80 %) décès toutes causes confondues dans le groupe 81 mg et 357 (4,43 %) dans le groupe 325 mg : HR = 0,87 ; IC95 = 0,75-1,01. Les résultats sur les hospitalisations pour IdM et pour AVC ainsi que ceux sur les autres critères secondaires n’étaient pas différents entre les groupes, y compris dans les analyses en sous-groupes.
Sur le critère principal de tolérance (hospitalisation pour hémorragie nécessitant une transfusion), il y a eu un premier évènement chez 53 patients (0,63 %) dans le groupe 81 mg et 44 (0,60 %) dans le groupe 325 mg : HR = 1,18 ; IC95 = 0,79-1,77, p = 0,41.
Enfin, il y a eu davantage de patients ayant switché de 325 mg à 81 mg que l’inverse au cours de l’essai et davantage d’arrêts de traitement dans le groupe 325 mg, ce qui pourrait biaiser le résultat final même si les résultats des analyses de sensibilité n’allaient pas dans ce sens. En conclusion, il n’y a pas de différence entre les deux posologies, aussi bien en termes d’efficacité que de tolérance.
COMMENTAIRES
Cet essai, de bonne qualité méthodologique, financé par un réseau d’associations de patients et conduit par des chercheurs académiques (hors industrie pharmaceutique), répond à la question de la posologie optimale d’aspirine chez des patients à très haut risque cardiovasculaire : il n’y a pas de différence entre 81 et 325 mg d’aspirine, aussi bien en termes de bénéfice clinique que de sécurité d’emploi.
Cependant, la définition américaine de « maladie cardiovasculaire établie » diffère de la définition européenne, qui classe les patients en prévention primaire à plus ou moins haut risque de premier événement clinique mais indemnes de signes ou d’évènement ischémique clinique et en prévention secondaire (antécédent documenté d’événement clinique). Certains cardiologues évoquent la notion de prévention « primosecondaire » chez des sujets asymptomatiques ayant des sténoses coronaires ou carotidiennes à la coronarographie ou à l’échographie, mais cette définition reste variable et floue, d’autant que plusieurs essais randomisés récents et solides ont démontré que l’aspirine était inefficace en prévention primaire, y compris chez des sujets à très haut risque cardiovasculaire (5-8). Ces résultats récents pourraient expliquer le plus grand nombre d’arrêts de traitement dans le groupe 325 mg ainsi que le plus grand nombre de switchs de 325 mg à 81 mg/jour au cours de l’essai.
En pratique, le ratio efficacité/effets indésirables favorable de l’aspirine en prévention secondaire, quelle que soit la posologie, est confirmé par cet essai et c’est au patient de choisir, une fois objectivement informé et selon ses préférences, pour les comprimés ou les sachets de poudre.
Dr Santa Félibre, généraliste enseignant, Paris
BIBLIOGRAPHIE
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3. Smith SC Jr, Benjamin EJ, Bonow RO, et al. AHA/ACCF secondary prevention and risk reduction therapy for patients with coronary and other atherosclerotic vascular disease: 2011 update: a guideline from the American Heart Association and American College of Cardiology Foundation. Circulation 2011;124:2458-73.
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8. Félibre S. L’aspirine en prévention primaire chez le senior, clap de fin ? Le Généraliste 2018;2853:20-1.
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