Séraphine, 83 ans, consulte car, depuis plus de 5 heures, elle présente une épistaxis de sa narine droite qu’elle n’arrive pas à stopper. En parallèle, elle est très anxieuse du fait de la présence de sang au niveau de son œil droit (cliché 1), sang qui s’écoule sur sa joue, ce qui lui donne l’impression « de se vider ». Elle nous explique avoir été hospitalisée il y a 1 mois pour le même problème. Elle avait bénéficié d’un angioscanner car elle était essoufflée. Cet examen a permis d’objectiver une embolie pulmonaire. Depuis, Séraphine suit un traitement par apixaban.
L’examen clinique permet d’objectiver :
– une épistaxis importante avec des caillots sanguins au niveau de la bouche et de la narine droite,
– au niveau ipsilatéral, la présence de larmes sanglantes,
– l’existence d’une HTA à 180/100 mmHg.
Après que sa tension artérielle se soit normalisée, nous avons méché la patiente. Par la suite, une cautérisation d’une tache vasculaire de la narine droite a été effectuée.
La patiente présentait une hémolacrie secondaire à une épistaxis.
INTRODUCTION
Le terme hémolacrie provient du grec aima (sang) et du latin lacrima (larme).
Elle est rarement observée mais une sous-évaluation du nombre de cas est probable.
L’hémolacrie a été décrite dans la littérature pour la première fois par Dodonaeus en 1581, qui avait mis en évidence cette symptomatologie chez une jeune adolescente de 16 ans ayant des problèmes menstruels.
L’hémolacrie touche aussi bien les enfants que les personnes âgées, il n’y a pas de prépondérance en fonction du sexe et, dans la majeure partie des cas, l’atteinte est unilatérale.
HÉMOLACRIE CHEZ UNE FEMME EN ÂGE DE PROCRÉER
Dans cette situation, deux cas de figure sont classiquement décrits :
L’irrégularité menstruelle ou menstruation vicariante, qui se caractérise par un saignement en dehors de la cavité utérine. Dans ce cas, extrêmement rare, il y aurait un détournement du flux menstruel vers d’autres parties du corps (oreille, nez, colon). Ce phénomène est à mettre en rapport avec des variations hormonales physiologiques (liées à la grossesse, l’allaitement, les menstruations).
Une endométriose nasolacrymale secondaire à une migration de tissu endométrial de manière ectopique.
Dans ces deux cas, l’administration d’un traitement hormonal (œstroprogestatif dans le 1er cas, et progestatif dans le 2e) permet une résolution de l’hémolacrie.
HÉMOLACRIE ET ÉPISTAXIS
Cette situation est liée à des rapports anatomiques entre le nez et les yeux : le canal lacrymal permet d’assurer une connexion entre le nez et l’œil, ce qui peut expliquer certaines interactions entre ces deux organes. Ainsi, une augmentation de la pression au niveau de la cavité nasale (éternuement chez une patiente ayant une épistaxis, ou effort pour se moucher) peut être responsable d’un flux sanguin rétrograde qui arrive de cette manière au niveau de l’œil.
De plus (comme dans notre cas), une majoration du phénomène est secondaire à l’existence d’une hypertension artérielle et l’administration concomitante d’anticoagulants.
La résolution de l’hémolacrie est obtenue dès l’épistaxis traitée et les facteurs majorants stabilisés.
LES AUTRES CAUSES D’HÉMOLACRIE
Plusieurs causes sont classiquement décrites dans la littérature :
• les causes traumatiques : chirurgicales ou non, les pathomimies,
• les pathologies systémiques : sarcoïdose, vascularites inflammatoires, granulomatose,
• les pathologies infectieuses ou inflammatoires : infections respiratoires hautes, conjonctivite, dacryocystite,
• les pathologies vasculaires : pathologies de la crase sanguine héréditaire comme la maladie de Willebrand, hémangiome capillaire conjonctival, purpura de Henoch-Schönlein, malformations vasculaires, dissection de l’artère vertébrale, surdosage des anticoagulants,
• les origines malignes ou neurologiques : tumeur maligne du canal ou sac lacrymal des sinus nasaux ou de la conjonctive de l’œil, migraine.
Le traitement est avant tout étiologique.
Lorsqu’aucun facteur n’est identifié (cela est très rare), on parle d’hémolacrie idiopathique.
Dr Pierre Frances (médecin généraliste à Banyuls-sur-Mer), Widad Gallaf (interne en médecine générale à Montpellier), Julien Planas (externe Montpellier)
BIBLIOGRAPHIE
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2. Seethapathy G, Jethani J. Uncontrolled systemic hypertension and haemolacria. Indian Journal of Ophtalmology 2020 ; 68 : 638-639.
3. Bia F, Zhou XB, Wang P, et al. Retrospective investigation of spontaneous bloody tears : a report of 27 cases. Zhonghua Yan Ke Za Zhu 2020 ; 56 : 53-58.
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