L'OBSERVATION
Le jeune Aurélien, 22 ans, consulte car il perçoit depuis quelques semaines de « petits boutons au niveau de l’anus ». Ils sont apparus quelques semaines auparavant. Il les a ressentis à l’occasion d’une démangeaison anale. Il a regardé et pense que ce sont des hémorroïdes externes ce qu’il n’a jamais eu auparavant. Il est un peu inquiet car les grosseurs augmentent de taille et, depuis peu, s’associent à un suintement qui tache son slip.
Il n’y a pas de saignement, ni de modification du transit. Il est un peu gêné car il n’a jamais eu à consulter pour un problème hémorroïdaire. Il n’a pas de soucis de santé ; il fume 10 cigarettes par jour et du cannabis deux fois par semaine. Il a une consommation d’alcool modérée, paroxystique à l’occasion de soirée étudiante. À l’examen, vous constatez des lésions florides de la marge anale (photo 1).
VOTRE DIAGNOSTIC ?
→ Ces lésions multiples, non ulcérées, en relief, papillomateuses, sont des condylomes. L’aspect est ici très caractéristique. Ils constituent des formations multiloculaires correspondant à des excroissances épidermiques, ou papillome.→ La majorité des papillomes sont la conséquence d'une infection par le papillomavirus humain (HPV) ; on parle alors de condylome. Quand ils sont, comme ici, en relief on parle de condylomes acuminés ; dans le canal anal on parle plutôt de condylome plan; ils sont alors plus étalés (photo 2 ).
[[asset:image:9361 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["Condylomes plans dans le canal anal (vue per-op\u00e9ratoire apr\u00e8s application d\u0027acide ac\u00e9tique dilu\u00e9e qui rehausse le relief)."]}]]
→ Il s’agit d’une maladie infectieuse dont le mode de transmission est habituellement sexuel. Il s’agit même de l’infection sexuellement transmise (IST) la plus fréquente (environ 250 à 300 mille nouveaux cas par an en France).
CE QU’IL FAUT FAIRE
→ Il faut tout d’abord faire le bilan de l’extension des lésions. Cela suppose donc que l'on examine la verge et le canal anal. Si on ne dispose pas d’un anuscope, il faut adresser le patient à un confrère équipé, et chez une femme réaliser un examen gynécologique.→ Chez l’homme, outre le fourreau pénien, les condylomes se localisent le plus souvent au voisinage du frein dans le sillon balano-prépucial. Il faut faire la différence avec des petites formations millimétriques de la périphérie du gland qui prennent le nom de gland perlé et qui sont nacrées et lisses.
Si le contexte s’y prête il ne fait pas hésiter à jeter un œil dans la cavité buccale (photo3).
[[asset:image:9366 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["Condylome de la l\u00e8vre. "]}]]
→ Il faut faire le bilan des autres IST. En effet ces infections sont souvent multiples ; il faut savoir être intransigeant et pédagogue, pour demander un bilan biologique comportant : le statut VIH, une sérologie syphilitique et les sérologies du virus B (Ag HBs, Ac anti HBc et anti HBs). En l’absence, comme chez Sébastien, d’un contexte particulier (ulcérations douloureuses de la marge anale, rectite, urétrite) les sérologies herpétiques et pour les chlamydiae n’apportent pas d’information pertinente en pratique.
→ Il faut, dans l’idéal, faire prévenir le partenaire. Ce qui n’est pas nécessairement simple car certaines populations peuvent avoir des comportements à risque avec des partenaires occasionnels. Mais ici Sébastien se déclare hétérosexuel strict et n’avoir que des rapports protégés. Il n’appartient pas au médecin d’être intrusif et de rechercher à tout prix une information que le patient ne souhaite pas revivre ou donner. La description des modes de contamination suffira ; Sébastien fera le tri.
Au cours des jeux sexuels et des préliminaires, la zone anale peut être impliquée (rapports digitaux, buccaux), accessoires divers, tous éléments qui ne sont pas concernés par le préservatif et qui peuvent être des vecteurs du virus. Bien sûr la pénétration pénienne (sodomie) est un mode très fréquent de transmission qui explique la forte prévalence de l’infection anale chez les hommes homo ou bisexuels ayant des rapports réceptifs. L'existence d’une infection intracanalaire floride est un argument en faveur de cette voie de contamination (qui existe bien sur aussi chez la femme).
→ Le préservatif protège et réduit la fréquence de la transmission, mais pas de façon absolue et nettement moins efficacement que pour les virus VIH et HBV. En effet, l’HPV est très résistant dans le milieu extérieur ; la manipulation du préservatif lors de sa mise en place peut contaminer sa surface extérieure. Cette relative résistance peut vraisemblablement expliquer d’autres modes de contamination : sauna, manuportage. Dans certaines communautés notamment chez l’enfant (en dehors des abus sexuels), le portage manuel est possible voriser la persistance du virus : tabagisme actif et infection par VIH (y compris dans les formes à charge virale indétectable).
→ Enfin, on ne dira jamais assez qu’il faut faire (ou prescrire) un examen proctologique systématique chez les femmes ayant des condylomes vulvaires ou une dysplasie du col utérin, même en l'absence de rapports anaux.
→ Il faut rechercher les facteurs qui peuvent favoriser la persistance du virus : tabagisme actif et infection par VIH (y compris dans les formes à charge virale indétectable).
CE QU’IL NE FAUT PAS FAIRE
Comme toujours, rappelons qu’il ne faut pas accepter le diagnostic fourni par le patient (qui ne sait pas ce que sont des hémorroïdes) sans examen clinique ; le pire étant de faire appliquer « à l’aveugle » un topique anti hémorroïdaire comportant des corticoïdes sur une lésion de nature virale.→ Il ne faut pas non plus tenter de répondre à tout prix à la question du patient « mais j’ai attrapé ça comment ? » La question est compréhensible ; mais il faut lui faire admettre qu’il est probable, qu’en dehors des cas précis cités ci dessus, on ne trouvera pas.
→ Il ne faut pas émettre des doutes quant à la sexualité du sujet ; cette consultation est déjà assez difficile pour lui sans l’obliger à affronter le scepticisme du praticien. D'ailleurs Sébastien affirme avec force l'absence de rapports anaux; ce qui est possible.
→ Il ne faut pas non plus affirmer des faits en dehors du cadre de l’observation clinique ; par exemple en donnant une date de contamination ou en affirmant que l’épouse/ compagne ou concubin sont à l’origine de la contamination. On peut ravager l’existence d’un couple fidèle et stable par ce type d’information en dehors de toute preuve scientifique.
→ Certes dans la majorité des cas la transmission est récente (< 6 mois) ; mais elle peut aussi être ancienne, être passée inaperçue et ressurgir à l’occasion d’une baisse de l’immunité (corticothérapie, tabagisme, infection VIH, infection bactérienne ou virale synchrone, etc.). Le sujet contaminant peut transmettre l’HPV sans avoir conscience d’en être porteur. L’infection est inapparente chez la femme au niveau vaginal ; certains sujets peuvent être considérés comme « porteurs sains » c’est-à-dire sans infection visible au moment de la transmission (mais avec quand même une réplication virale au niveau de la muqueuse).
→ Il ne faut pas temporiser en escomptant une régression spontanée. S’il est exact que des cas de condylomes régressant spontanément ont été décrits, il ne faut compter sur cette éventualité de façon systématique. Faute de quoi on prend le risque d’une extension de la maladie en termes de surface et nouvelles localisation (photo 4).
[[asset:image:9371 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["Condylomes g\u00e9ants n\u00e9glig\u00e9s pendant pr\u00e8s de deux ans. "]}]]
→ Enfin il faut gérer au mieux l’information glanée sur internet ; elle est souvent anxiogène car l’accent est souvent mis sur les capacités oncogènes du HPV ; le patient se voit donc déjà porteur d’un cancer anal ! L’information ne peut négliger ce risque mais doit le relativiser, ne serait qu’en rappelant le décalage entre l’extrême fréquence des condylomes et la relative rareté du cancer anal ; la majorité des infections étant en liaison avec une infection par un génotype non oncogène.
En effet, les génotypes 6 et 11 non oncogènes représentent en France plus de 3 cas sur 4 des infections à HPV génitaux chez les hétérosexuels. Les situations les plus sévères sont observées chez les sujets positifs pour le VIH ou en situation d'immunodépression comme après greffe (photo 5).
[[asset:image:9376 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["Condylomes en voie de canc\u00e9risation chez un greff\u00e9 de moelle."]}]]
QUEL TRAITEMENT ?
→ Il repose sur des critères multiples et dépend du contexte. Une fois le bilan d’extension fait, s'il ne s’agit comme ici que d’une localisation limitée à la marge anale, il faut :■ Rappeler des règles simples d’hygiène : lavage des mains après une toilette locale, changement du linge de corps, non-partage des serviettes de toilettes ;
■ Arrêter le tabagisme qui est un facteur déterminant de la résistance au traitement et de la récidive ;
■ Rappeler le mode de contamination pour éviter une recontamination toujours possible. L'infection n'est en effet pas immunisante et il existe des génotypes multiples. Il est donc difficile de faire la part entre une réinfestation et une authentique récidive. À court terme il s'agit le plus souvent d'une insuffisance thérapeutique.
L'infection a un caractère régional et le virus siège souvent dans plusieurs endroits; on en voit certains (les condylomes) mais d'autres localisations peuvent être inapparentes au moment du diagnostic et n'émerger que dans un second temps.
Il faut donc informer le patient de cette limite des traitements; une réapparition des lésions n'est pas fautive. En revanche, cette éventualité impose une surveillance post-thérapeutique systématique notamment afin de détecter les récidives ou les re-prises, dont le traitement sera d'autant plus efficace qu'il sera appliqué à un stade précoce ;
■ Traiter dans un premier temps par une pommade à base d'imiquimod. Son application est faite trois fois par semaine, directement sur les condylomes. Il n'y a pas de gain à augmenter la fréquence, ni à appliquer une plus grande quantité de crème que ce qui est fourni. On augmenterait juste le risque d'intolérance. La crème doit rester en contact un minimum de 6 h (en pratique pendant toute la nuit). Le matin, la toilette locale éliminera ce qui peut persister.
→ La chirurgie a pour objectif de détruire les condylomes (soit au laser CO2 soit au bistouri électrique) soit de les exciser. On y a recours soit d'emblée en cas de lésions très étendues et volumineuses soit après échec de l’imiquimod.
→ Le traitement comporte un suivi qui doit s’assurer de la disparition des condylomes et du maintien de cette disparition sur le long terme. Dans certaines populations (rapports anaux réguliers, infection VIH ) cette surveillance laisse place par la suite à un dépistage par un examen proctologique systématique tous les un à trois ans selon le contexte et les facteurs de risque.
L'objectif, dans cette population à risque, est de dépister les infections à HPV mais aussi le cancer de l'anus. Ainsi chez l'homosexuel masculin VIH+ , le cancer de l'anus est plus fréquent que le cancer du col utérin dans la population générale.
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