Le nombre de personnes s’inquiétant de perturbations de leur mémoire ne cesse d’augmenter - plus de la moitié des sujets âgés de plus de 55 ans - et beaucoup d’entre elles, les plus jeunes surtout, consultent tôt. Cette plainte de mémoire traduit souvent la crainte d’une maladie d’Alzheimer (MA), les patients sont informés de l’existence de traitements, sont demandeurs de consultations mémoire qui, s’étant multipliées ces dernières années, participent à cette quête, avec l’espoir de modifier l’évolution de la maladie. Avec peu d’examens – le test des 5 mois et une IRM ciblée - le médecin généraliste est à même de filtrer les informations. Il peut soit affirmer à son patient : « vous n’avez pas de maladie d’Alzheimer, vous avez une plainte de mémoire qui n’est pas en relation avec une maladie de la mémoire », soit l’orienter à bon escient dans une filière de soins spécialisée.
DU DIAGNOSTIC D’EXCLUSION AU DIAGNOSTIC POSITIF
Selon le Pr Dubois « il y a quelques années, on pensait qu’il existait un continuum entre le vieillissement et la maladie d’Alzheimer, maintenant on sait définir que telle personne est atteinte ou non atteinte et on peut identifier la maladie bien avant le stade de démence avec un haut niveau de précision. Le diagnostic de MA était un diagnostic d’élimination et probabiliste. Ce n’est plus le cas, les outils actuels permettent d’établir le diagnostic en l’affirmant et non plus par l’exclusion d’autres diagnostics. »
Les critères, sur lesquels est encore souvent fait le diagnostic de MA aujourd’hui, ne soulignent pas ce qui en fait la spécificité, c’est-à-dire le trouble de la mémoire épisodique qui apparaît habituellement au stade prodromique ; le diagnostic est encore trop posé seulement au stade de démence. En fait, les lésions neurologiques débutent tôt dans la vie, sans symptômes pendant des années avant l’apparition de la démence, c’est lorsque les capacités d’adaptation du cerveau sont dépassées que les symptômes apparaissent.
-› Ainsi viennent d’être définis de nouveaux critères de la maladie d’Alzheimer : (1+2 ou 3 ou 4)
1- Un trouble significatif et inaugural de la mémoire épisodique, particulier car résultant d’une atteinte hippocampique. Ce trouble installé depuis plus de 6 mois, rapporté par le patient ou l’informant, peut être déjà repéré grâce à la simple épreuve des 5 mots.
2- L’atrophie des structures temporales internes notamment de l’hippocampe, visible sur des coupes coronales d’IRM.
3- La modification des marqueurs dans le LCR.
4- Un profil métabolique spécifique (hypométabolisme) à la tomographie par émission de positons (TEP)(3).
Ces nouveaux critères permettent un diagnostic positif de la maladie et un diagnostic plus précoce.
LA DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE
Au cabinet médical : le test des 5 mots
Le test des 5 mots, encore appelé test de Dubois, est un test simple et rapide, qui ne prend guère plus de quelques minutes. Très performant - sa sensibilité est de 91 % pour la MA - il teste les capacités de mémorisation et décèle la présence du trouble de la mémoire spécifique et caractéristique de la MA : « le syndrome amnésique hippocampique ». Ce test repose sur l’apprentissage d’une liste de 5 mots (accompagnés de leur catégorie sémantique non présentée au patient) :
- musée (bâtiment),
- limonade (boisson),
- sauterelle (insecte),
- passoire (ustensile de cuisine),
- camion (véhicule).
-› La première phase : On montre la liste des 5 mots au patient en lui demandant de les lire à haute voix et de les mémoriser. Une fois la liste lue et toujours présentée au patient, on lui demande de lire les mots en réponse à leur catégorie sémantique, comme par exemple le mot limonade en réponse à la question « quelle est la boisson ? » Cette étape permet de contrôler l’apprentissage par le lien mot - catégorie sémantique.
Ensuite, on contrôle l'enregistrement par le rappel immédiat en demandant au patient de restituer les mots. Pour les mots non rappelés, on lui fournit l’indice « Quel était le nom de…en fournissant l'indice sémantique, la boisson par exemple ? ». On compte le nombre de mots rappelés (spontanément et avec indiçage) ce qui donne un score/5. Si le score est de 5, on passe à l'étape suivante. Si non, on remontre du doigt le ou les mots non rappelé(s) en disant « le nom de…est… ». Puis on demande au patient de redonner ce ou ces mots non rappelé(s) en réponse à leur indice. Ce n’est qu’après avoir contrôlé que le patient a bien enregistré - encodé- tous les mots que l’on peut passer à la deuxième étape.
-› La deuxième phase : après une épreuve interférente dont le but est de détourner l’attention du sujet, par exemple en étudiant l’orientation temporelle et spatiale et en réalisant le test de l’horloge, on étudie la mémorisation proprement dite par le rappel différé. On demande au patient de restituer les 5 mots (c’est le rappel différé libre). Pour les noms non rappelés, on l’aide en lui donnant les mêmes indices sémantiques : « Quel est le nom du bâtiment ?... » C’est le rappel différé indicé. Le score est de nouveau sur 5.
-› Le score total est composé des 2 scores : il est au maximum de 10, et normalement supérieur à 9. Si le sujet redonne les mots soit de façon spontanée soit avec l’aide des indices sémantiques, on peut exclure a priori une MA et rassurer son patient. Les troubles très fréquents de la mémoire liés à la dépression, l’anxiété ou à un vieillissement normal sont ainsi discriminés.
Le rappel d’une liste de mots après délai est le paradigme utilisé pour étudier les capacités de mémoire épisodique (4). Si la personne ne retrouve pas les mots malgré les indices, il y a de forts risques qu'elle souffre d'une maladie d'Alzheimer. Dans les autres pathologies de la mémoire, il existe des troubles du rappel, mais dans l’amnésie de type hippocampique, le patient n’est pas aidé par les indices apportés lors du rappel des 5 mots. Il est fondamental de connaître cette spécificité du trouble de la mémoire dans la MA. En pratique, tout score inférieur à 10 à cette épreuve est suspect et nécessite de réaliser un bilan à cette épreuve complémentaire (4).
Une fois la perturbation spécifique de la mémoire identifiée lors du test des 5 mots, il s’agit d’apporter la preuve par IRM cérébrale de l’atteinte physiologique de la MA pour confirmer que ce syndrome amnésique est bien du à cette maladie.
Deuxieme étape : IRM ciblée sur l’hippocampe
Jusqu’à aujourd’hui, la neuro-imagerie avait pour rôle principal non de diagnostiquer une maladie d’Alzheimer mais d’exclure des lésions cérébrales en faveur d’autres formes de démence (lésions vasculaires, tumeurs, hydrocéphalie,…).
Il est désormais acquis que la mise en évidence d’une atrophie de la substance du lobe temporal interne et en particulier de l’hippocampe - structure du système limbique impliquée dans la mémoire - est un argument neuroradiologique en faveur d’une MA.
Cette atrophie est un marqueur du processus pathologique. Aussi l’examen à demander en cas de score perturbé au test des 5 mots est devenu l’IRM en 3 dimensions avec appréciation du volume de l’hippocampe. Les radiologues ont appris à évaluer le volume de l’hippocampe et répondent à cette demande (1, 6). Cette atteinte est précoce. Elle peut être discrète au début aussi il faut rester prudents, notamment chez le sujet âgé, et parfois demander une nouvelle IRM plusieurs mois plus tard si l’atrophie n’a pas été initialement observée.
«La conjonction, anomalie de l’hippocampe à l’IRM et troubles spécifique de la mémoire - amnésie type hippocampique -permet de retenir le diagnostic de MA », précise le Pr Dubois.
L’adressage en milieu spécialisé
Une fois la suspicion diagnostique fermement établie, le médecin généraliste adresse son patient au spécialiste, si possible en centre de la mémoire, pour la réalisation d’une évaluation cognitive plus complète et l’instauration d’un traitement spécifique.
-› Dans certains cas, une recherche des marqueurs biologiques de la maladie est réalisée. Ces nouveaux examens relèvent actuellement des centres experts mais seront amenés à être diffusés dans l’avenir.
La combinaison de marqueurs biologiques spécifiques, concentration du peptide amyloïde et de protéines Tau, facilite l’identification de la maladie même au stade prédémentiel.
Ces marqueurs sont dosés dans le liquide céphalo-rachidien. Une diminution de concentration du peptide B amyloïde et une augmentation des protéines Tau sont des anomalies caractéristiques de la MA. Leur spécificité est de plus de 90 %. « La maladie d’Alzheimer est la première affection neurodégénerative pour laquelle des anomalies biologiques peuvent être mesurées dans le LCR », remarque le Pr Dubois.
-› La présence de lésions histologiques de la maladie, les plaques amyloïdes, peut être étudiée in vivo en PET-Scan (tomographie par émission de positons), par simple injection d’un ligand qui se fixe sur ces lésions. Le PET-Scan peut aussi mettre en évidence une hypoperfusion ou une modification du métabolisme cérébral dans les régions du carrefour pariéto-temporal (2).
POURQUOI LA NÉCESSITÉ D’UN DIAGNOSTIC PRÉCOCE ?
La MA commence habituellement par ces troubles de la mémoire épisodique qui portent sur le rappel des faits récents (les heures ou les jours qui précédent,) ces troubles sont inauguraux et prédominants. Dès cette date une atrophie précoce des régions temporales internes peut être mise en évidence par la neuro-imagerie. Ce n’est qu’après qu’apparaissent les autres manifestations (difficultés d’orientation dans le temps et l’espace, manque de mots, troubles du comportement, trouble dyséxécutif…) pouvant retentir sur l’autonomie du patient caractérisant alors la démence. Les objectifs actuels sont de contribuer au diagnostic précoce de la MA, même en l’absence de réelles implications thérapeutiques, car ce diagnostic permet :
- de rassurer les patients en éliminant ce qui n’est pas une MA. La plainte amnésique est un phénomène banal et fréquent qu’il faut savoir distinguer de la MA ;
- de déterminer la cause d’un MCI (Mild Cognitive Impairement), identité imprécise, définie pour des sujets présentant des symptômes, mais non suffisants pour affirmer une démence. Il s’avère que la plupart des patients présentant une MCI souffrent d’une MA et développeront une démence plus tard. Il est souhaitable de réduire l’entité MCI aux seuls cas pour lesquels un diagnostic ne peut être établi ;
- d’inscrire le patient pour lequel a été diagnostiqué une MA prodromique dans une filière de soins adaptée ;
- de proposer un traitement, car même si les traitements actuels font l’objet de discussion et n’ont pas fait la preuve qu’ils ralentissaient l’évolution de la maladie, certains patients sont répondeurs. « Il faut jouer la carte thérapeutique », recommande le Pr Dubois. Ces traitements sont-ils plus efficaces au stade prodromique ? Ce n’est pas actuellement prouvé mais ils ont aussi l’intérêt d'être un lien entre le patient et son médecin et de permettre à celui-ci de suivre son patient dans sa maladie, de détecter l’apparition d’autres troubles cognitifs ou comportementaux et de prendre les décisions qui s’imposent. Ce suivi facilite des prises en charge spécifiques, notamment sociales, « en amont » des difficultés.
- la connaissance de leur affection permet aux patients d’organiser l’avenir, d’adapter leur vie (un chef d’entreprise peut avoir des décisions à prendre par exemple) ce qui n’implique pas forcément de donner un diagnostic à chaque patient.
- d’anticiper les thérapeutiques innovantes futures. « Actuellement se développent de nouveaux médicaments symptomatiques mais surtout des traitements physiopathologiques qui pourraient ralentir le processus physiologique. Si la MA n’a pas encore de traitement vraiment efficace, des thérapies innovantes sont espérées dans les mois ou années qui viennent et il faut se tenir prêts.»
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