Traitement pharmacologique de l’HTA en prévention primaire ou secondaire selon différents niveaux de pression artérielle à l’inclusion : méta-analyse sur données individuelles
Pharmacological blood pressure lowering for primary and secondary prevention of cardiovascular disease across different levels of blood pressure: an individual participant-level data meta-analysis
The Blood Pressure Lowering Treatment Trialists’ Collaboration.
Lancet 2021;397:1625-36.
CONTEXTE
Même si cela dépend de l’âge du médecin (généralement, plus le médecin est âgé et plus sa patientèle l'est aussi) et de la démographie populationnelle du lieu d’exercice, l’hypertension artérielle (HTA), est de loin le premier motif de consultation en soins primaires (1). Que ce soit en prévention primaire ou secondaire, les médicaments antihypertenseurs ont formellement démontré leur bénéfice clinique (2) sur des critères importants pour les patients (décès CV et événements CV cliniques). Cependant, ces bénéfices restent incertains chez les patients ayant une pression artérielle systolique (PAS) considérée comme subnormale (140 mmHg) voire inférieure à cette « norme » du diagnostic d’HTA.
OBJECTIFS
Évaluer l’efficacité des antihypertenseurs en prévention primaire ou secondaire sur les évènements cliniques selon la PAS des patients inclus dans les essais randomisés.
MÉTHODE
Méta-analyse sur données individuelles de 51 essais randomisés (3) ayant évalué les bénéfices cliniques des médicaments antihypertenseurs versus placebo, ou autre antihypertenseur ou encore selon l’intensité de la réduction de la PAS versus cible standard, avec au moins 1 000 patients/année de suivi dans chaque groupe. Les patients ont été stratifiés selon deux axes : prévention primaire (pas d’antécédent d’évènement CV) ou secondaire (antécédent de maladie coronaire ischémique clinique ou AVC) d'une part, et d'autre part pression artérielle systolique à l’inclusion par tranches de 10 mmHg allant de < 120 mmHg à ≥ 170 mmHg. Les essais ayant exclusivement inclus des patients insuffisants cardiaques ou ayant un antécédent d’infarctus du myocarde (IdM) récent n’ont pas été retenus. Les patients insuffisants cardiaques à l’inclusion dans les essais retenus ont été écartés de l’analyse finale. Le critère de jugement principal (CJP) composite hétérogène comprenait l’incidence des IdM fatals ou non, des AVC fatals ou non et des insuffisances coronaires ou cardiaques aiguës nécessitant une hospitalisation. Les critères secondaires étaient la mortalité totale, la mortalité CV et chaque composant du CJP. L’analyse statistique non hiérarchisée a été faite en intention de traiter pour chaque différence de 5 mmHg entre groupes intervention et témoin (placebo, comparateur actif ou cible de PAS standard) à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel. Les résultats sont présentés en Hazard Ratio (HR) avec un intervalle de confiance à 95 % (IC95).
RÉSULTATS
Sur les 51 essais présélectionnés, 48 contenaient toutes les données nécessaires à la méta-analyse. Les trois autres ont été écartés pour des motifs conformes à la méthode préspécifiée (3). En prévention primaire (n = 186 988) comme en prévention secondaire (n = 157 728), les caractéristiques de patients inclus dans les essais poolés étaient similaires entre les groupes intervention et témoin. La PA moyenne à l’inclusion était de 157/89 mmHg en prévention primaire et de 146/84 mmHg en prévention secondaire. La médiane de suivi était d’un peu plus de 4 ans en prévention primaire et secondaire. L’âge moyen des patients était de 65 ans dans les deux populations et l’IMC médian se situait entre 27,5 et 28,2 kg/m2. Les femmes étaient plus nombreuses que les hommes dans la population de prévention primaire. Il n’y avait pas de différence en termes de comorbidités comme la fibrillation auriculaire (3 %) ou le diabète de type 2 (28,5 %). À l’inclusion dans les essais, 18 % des patients de prévention primaire et 37 % de ceux en prévention secondaire avaient une PAS < 139 mmHg. La différence moyenne de réduction de la PAS entre les groupes intervention et témoin à la fin des essais était de 6,3 mmHg dans les deux populations.
Au cours d’une médiane de suivi de 4,15 ans, en prévention primaire, il y a eu 3,19 événements du CJP pour 100 patients/année dans les groupes témoin et 2,59 dans les groupes intervention. En prévention secondaire, les incidences pour 100 patients/année étaient respectivement de 3,97 et 3,60. Le HR sur le CJP associé à une différence de 5 mmHg entre les groupes intervention et témoin en fin de suivi était de 0,91 (IC95 = 0,89-0,94) en prévention primaire, soit une réduction relative du risque de 9 % et un nombre de sujets à traiter (NST) pendant 4 ans pour éviter un événement = 46. En prévention secondaire, le HR était de 0,89 (IC95 = 0,86-0,92), soit une réduction relative du risque de 11 % et un NST = 66. Les bénéfices cliniques étaient du même ordre sur chaque composant du critère principal. Il n’y avait pas de différence sur la mortalité totale ni cardiovasculaire (critères secondaires).
Le plus étonnant est que le bénéfice clinique relatif sur le CJP était du même ordre, quelle que soit la PAS à l’inclusion, sauf dans la tranche 130-139 mmHg en prévention secondaire. Par exemple, le HR était de 0,83 (IC95 = 0,71-0,97, NST = 33) en prévention primaire et de 0,77 (IC95 = 0,68-0,87, NST = 34) en prévention secondaire en cas de PAS < 120 mmHg à l’inclusion. De même, en cas de PAS à l’inclusion comprise entre 120 et 129 mmHg, le HR sur le CJP était de 0,94 (IC95 = 0,84-1,06, non significatif) en prévention primaire et de 0,89 (IC95 = 0,81-0,98, NST = 69) en prévention secondaire. Pour les PAS les plus élevées à l’inclusion (≥ 170 mmHg), le HR sur le CPJ était de 0,90 (IC95 % = 0,85-0,95, NST = 49) en prévention primaire et de 0,90 (IC95 = 0,83-0,97, NST = 57) en prévention secondaire.
Au total, quelle que soit la PAS à l’inclusion, une différence de 5 mmHg de la PAS par rapport au groupe témoin était presque toujours accompagnée d’une réduction significative du risque d’IdM, d’AVC et d’insuffisance coronaire ou cardiaque à 4 ans, y compris quand la PAS était inférieure à la cible le plus souvent préconisée dans les recommandations (4, 5).
COMMENTAIRES
La lecture de ce travail biostatistique très sophistiqué (mais un peu « hors-sol ») sur données individuelles extraites d’une immense base de données laisse perplexe car ses résultats vont à l’encontre des meilleures études épidémiologiques (6) ayant validé la fameuse courbe en J indiquant un surrisque d’évènement CV quand la PA est < 130/75 mmHg (7).
Les résultats publiés dans cette méta-analyse permettent de calculer le risque absolu d’événement du CJP (morbimortalité CV) à 10 ans. Que ce soit en prévention primaire ou secondaire et quelle que soit la PAS à l’inclusion, le risque absolu de CJP à 10 ans dans les groupes témoin était largement > 20 %. En suivant cette démarche, la décision d’abaisser la PAS d’un sujet à l’aide d’un antihypertenseur pourrait être prise à partir de l’évaluation de son risque absolu d’événement CV grave à 10 ans, indépendamment de sa condition en prévention primaire ou secondaire et surtout indépendamment de sa PAS (8), un peu comme les statines qui ont démontré leur efficacité clinique chez des patients à risque CV intermédiaire (10 % à 10 ans) en prévention primaire, ayant un LDL-cholestérol normal (9, 10).
En pratique, le seul moyen de confirmer les résultats inattendus de cette méta-analyse serait de mener un essai randomisé en double insu incluant des patients à haut risque CV ayant une PAS < 140 mmHg à l’inclusion et de leur donner un antihypertenseur dans un groupe et un placebo dans l’autre, ce qui serait le monde à l'envers. Un critère de jugement principal clinique serait indispensable. L’industrie pharmaceutique ne se lancera jamais dans cette aventure (tous les antihypertenseurs sont génériqués) et seul un essai conduit par une équipe de chercheurs académiques (en médecine générale ?) pourrait valider ce résultat dérangeant. Encore faut-il en trouver les moyens humains et le financement !
Dr Santa Félibre, généraliste (enseignant-chercheur, Paris)
BIBLIOGRAPHIE
1. Duhot D, Martinez L, Ferru P, & al. Prévalence de l’hypertension artérielle en médecine générale. Enquête transversale de l’Observatoire de la médecine générale. Rev Prat Med Gen 2002;16:177-80.
2. Ettehad D, Emdin CA, Kiran A & al. Blood pressure lowering for prevention of cardiovascular disease and death: a systematic review and meta-analysis. Lancet 2016;387:957-67.
3. Rahimi K, Canoy D, Nazarzadeh M, & al. Investigating the stratified efficacy and safety of pharmacological blood pressure-lowering: an overall protocol for individual patient-level data meta-analyses of over 300 000 randomized participants in the new phase of the Blood Pressure Lowering Treatment Trialists’ Collaboration (BPLTTC). BMJ Open 2019;9:e028698.
4. Whelton PK, Carey RM, Aronow WS, & al. 2017 guideline for the prevention, detection, evaluation, and management of high blood pressure in adults: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association task force on clinical practice guidelines. J Am Coll Cardiol 2018; 71: e127–248.
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8. Brouwers S, Sudano I, Kobuko Y, & al. Arterial hypertension. Lancet Seminar 2021. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)00221-X
9. Yusuf S, Lonn E, Pais P, and the HOPE-3 investigators. Blood-Pressure and Cholesterol Lowering in Persons without Cardiovascular Disease. N Engl J Med 2016; 374:2021-31. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1600176
10. Félibre S. Une nouvelle approche pour les patients à risque CV intermédiaire. Le Généraliste 2016-2762:28-9
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