
CONTEXTE
Au Royaume-Uni, la prise en charge des patients goutteux par les médecins généralistes (MG) est suboptimale (1). Moins de la moitié des malades reçoit un médicament hypo-uricémiant, la plupart du temps sans titration pour atteindre l’objectif uricémique recommandé, et sans conseils sur le mode de vie (1, 2). Outre-Manche, les infirmières employées dans les cabinets médicaux prennent en charge des maladies chroniques. Une revue systématique (3) a montré que les résultats obtenus sur des critères cliniquement pertinents pour les patients seraient similaires, voire supérieurs à ceux des MG.
OBJECTIFS
Comparer les résultats de la prise en charge des patients goutteux ambulatoires obtenus par les infirmières à ceux observés chez les MG.
MÉTHODE
Essai comparatif en ouvert ayant inclus des patients hyper-uricémiques ayant fait au moins une crise de goutte l’année précédente. Ils ont été randomisés soit dans le groupe pris en charge par le MG (soins usuels), soit dans le groupe pris en charge par une “nurse” et ont été suivis pendant deux ans.
→ Les “nurses” ont été formées à un protocole de soins précis, basé sur les recommandations britanniques (4), auxquelles étaient ajoutés une information délivrée au patient sur la maladie, l’objectif d’uricémie à atteindre et des conseils sur le mode de vie (éducation), le tout dans une démarche individuelle de décision partagée (4). En cas de difficultés, les nurses avaient un accès immédiat à un rhumatologue.
→ Le critère de jugement principal était la proportion de patients ayant une uricémie < 60 mg/L à deux ans. Les principaux critères de jugement secondaires étaient la fréquence des crises de goutte au cours de la deuxième année de l’essai et la qualité de vie mesurée par le SF-36 (physique et mental). L’analyse statistique a été faite en intention de traiter avec imputation multiple des données manquantes à la randomisation et à l’aide d’un modèle de Markov au cours de l’essai pour les variables continues.
RÉSULTATS
La randomisation a bien fait son travail, puisque les 255 patients du groupe “nurse” et les 262 du groupe MG étaient similaires à l’inclusion : âge = 63 ans, hommes = 90 %, uricémie > 60 mg/L = 78 %, deux crises de goutte l’année précédente = 80 %, traitement hypo-uricémiant en cours = 40 %.
→ À deux ans, la proportion de patients avec une uricémie < 60 mg/L était de 94,9 % dans le groupe “nurse” vs 29,7 % dans le groupe MG : risque relatif (RR) = 3,18 ; IC95 % = 2,42-4,18. Le RR pour une uricémie < 50 mg/L était de 5,11 ; IC 95 % = 3,61 - 7,23. à deux ans, 96,1 % des patients du groupe “nurse” recevaient un traitement hypo-uricémiant vs 56,1 % dans le groupe MG (RR = 1,71).
→ Après une augmentation significative (53,9 % vs 39,8 %) du nombre de patients ayant eu au moins deux crises de goutte au cours de la 1re année, liée à l’intensification du traitement médicamenteux, la tendance s’est inversée au cours de la 2e année : 8,0 % vs 24,3 % ; RR = 0,33 ; IC95 % = 0,19 - 0,57. Le score de la composante physique du SF-36 a été significativement meilleur (p = 0,003) dans le groupe “nurse” que dans le groupe MG, ce qui n’était pas le cas du score mental de cette échelle de qualité de vie.
COMMENTAIRES
Cet essai britannique bien conçu démontre clairement qu’une prise en charge globale protocolisée des patients goutteux par une infirmière formée et encadrée, associée à une éducation thérapeutique et à une information sur la cible d’uricémie à atteindre dans le cadre d’une démarche de décision partagée est beaucoup plus efficace que les soins usuels des MG. La probabilité d’avoir une uricémie contrôlée et de ne plus avoir de crises de goutte est multipliée par trois avec une nurse. Ce travail confirme les résultats de nombreux autres essais dans le domaine de la prise en charge des maladies chroniques par une infirmière en soins primaires (3,5).
Il y a quelques années, ce travail n’aurait eu aucun intérêt pour la médecine générale française, tant le système de soins hexagonal est différent de celui des Britanniques. En pratique, et à l’heure prochaine de l’arrivée des infirmières de pratique avancée, ces résultats sont intéressants pour les patients et rassurants pour les MG, d’autant qu’ils ne remettent en question aucune de leurs prérogatives.
Bibliographie
1- Kuo CF, Grainge MJ, Mallen C, & al. Rising burden of gout in the UK but continuing suboptimal management: a nationwide population study. Ann Rheum Dis 2015;74:661-7.
2- Annemans L, Spaepen E, Gaskin M, & al. Gout in the UK and Germany: prevalence, comorbidities and management in general practice 2000-2005. Ann Rheum Dis 2008;67:960-6.
3- Martinez-Gonzalez NA, Tandjung R, Djalali S, & al. The impact of physician-nurse task shifting in primary care on the course of disease: a systematic review. Hum Resour Health 2015;13:55.
4- Hui M, Carr A, Cameron S, & al. The British Society for Rheumatology guideline for the management of gout. Rheumatology 2017;56:e1-20.
5- Clark CE, Smith LF, Taylor RS, Campbell JL. Nurse led interventions to improve control of blood pressure in people with hypertension: systematic review and meta-analysis. BMJ 2010;doi:10.1136/bmj.c3995.
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