Le constat a de quoi étonner. En Belgique, où sont pratiqués chaque année quelque 20 000 avortements, l’interruption volontaire de grossesse demeure, jusqu’à aujourd’hui, purement et simplement… absente des programmes scolaires. S’ils veulent maîtriser l’acte, les jeunes généralistes belges sont ainsi contraints de se former a posteriori et de leur propre initiative. Seule université libre de Bruxelles (ULB), propose à ses étudiants un module dédié à l’avortement, mais celui-ci est facultatif. Pour les autres, ni théorie ni pratique. Or, justement, sur le terrain, les besoins sont immenses : 95 % des médecins pratiquant l’IVG en Belgique sont des généralistes.
Sévère pénurie
Une ineptie dénoncée de longue date par les fédérations de centres de planning familial, qui recueillent d’ailleurs aujourd’hui l’assentiment des étudiants. « Ce n’est pas acceptable, souligne ainsi Basil Sellam, président du Comité inter-universitaire des étudiants en médecine (CIUM). L'apprentissage de l'IVG aurait dû être mis en place depuis longtemps, surtout quand on sait que la loi en vigueur date de 1990 ». Les premières comme les seconds peuvent dès lors se réjouir, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Belgique francophone) a finalement décidé d’intégrer cet automne la mesure dans sa déclaration de politique générale.
Pour les centres de planning familial, où sont pratiqués trois avortements sur quatre, l’enjeu est vital. Ces derniers font face, depuis des années, à une sévère pénurie de médecins pratiquant l’IVG. La jeune génération ne semble en effet pas très prompte à prendre la relève des médecins militants à l’œuvre depuis 1990 et la première loi de dépénalisation.
« Désormais un quart de nos 79 praticiens sont âgés de 55 ans ou plus, et les nouvelles recrues sont de plus en plus difficiles à trouver », témoigne Caroline Watillon, chargée de mission à la Fédération laïque de Centres de planning familial, qui réunit 44 centres de planning familial. Et si Bruxelles est relativement épargnée, la situation devient critique à mesure que l’on s’en éloigne. « À Namur par exemple (110 000 habitants), le Centre de planning familial n’a plus de médecin formé à la méthode chirurgicale. Les femmes n’ont donc plus le choix, ne reste que la méthode médicamenteuse ». Même constat du côté de la Fédération de centres de planning familial des Femmes prévoyantes socialistes (17 centres dont 9 pratiquant l’avortement) : « L’un de nos centres, celui d’Arlon (sud-est du pays, ndlr), a mis près de deux ans à trouver des médecins pour pratiquer dans ses nouveaux locaux », souligne sa chargée de communication Eloïse Malcourant.
Les causes de cette désaffection sont diverses, estime-t-on sur le terrain. Il y a, d’abord, les raisons prosaïques : l’acte serait jugé simple – donc peu intéressant — mais aussi pas assez rémunérateur. Il y a, ensuite, les stigmates idéologiques et religieux vis-à-vis d’une pratique qui reste taboue au sein des universités de tradition catholique. « Lors de nos recherches, des étudiants de l’UCL (Université catholique de Louvain, ndlr) nous ont confié n’avoir tout simplement jamais entendu, au cours de leur cursus, parler de l’IVG… ! », témoigne ainsi Caroline Watillon.
Supprimer les sanctions pénales
Il y a, enfin, un cadre légal belge particulier qui continue d’entraver la pleine normalisation de l’acte : la dépénalisation de l’IVG demeure en effet, encore aujourd’hui, incomplète en Belgique. Un (petit) pas a certes été fait en octobre 2018, avec l’adoption d’une loi l’extrayant du code pénal, mais du chemin reste à parcourir. Car le texte en question maintient la possibilité de sanctions pénales (y compris la prison) pour les femmes comme pour les médecins, en cas d’IVG pratiqué en marge des conditions prévues par la loi (délai de 12 semaines, etc.). Le Parlement débat justement actuellement de ce pas supplémentaire. « Une nouvelle loi supprimant définitivement les possibilités de sanctions pénales aiderait forcément à dissiper ce tabou, notamment auprès des étudiants », estime Eloïse Malcourant.
Restera à déterminer, début 2020 et avec les ministres concernés, la forme que prendra l’enseignement de l’IVG. « Le minimum serait de l'ajouter en tant que séminaire obligatoire lors de la grande clinique de gynécologie et, idéalement, de l’intégrer aux cours théoriques de gynécologie », estime pour l’heure Basil Sellam (CIUM).