Dr Michèle Rubirola : « Mon but, c’est de prendre soin des Marseillais »

Publié le 23/10/2020
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Le 4 juillet 2020, Michèle Rubirola est devenue la première femme maire de Marseille. La tête de liste du Printemps marseillais, écologiste et médecin, depuis toujours au service des populations les plus fragiles, a fait basculer une ville tenue depuis vingt-cinq ans par la droite. Portrait d’une femme engagée, qui entend gouverner sa ville en équipe et comme une mission d’éducation thérapeutique.

Crédit photo : AFP

Rien ne prédestinait Michèle Rubirola à devenir la première femme maire de Marseille. Rien ou tout : du militantisme de son père, à l’extrême gauche de l’échiquier politique, jusqu’à sa passion de la médecine « profondément humaniste ». « Quand j’étais petite, souligne Michèle Rubirola, je voulais déjà être médecin bénévole en Afrique. Je venais d’un milieu ouvrier et pauvre en fait. J’ai toujours été intéressée par les gens et par la différence… » Les parents de son père croisent des origines catalane et italienne. « Ma grand-mère ne savait ni lire ni écrire. Elle parlait plutôt Marseillais qu’un langage français châtié. Elle utilisait beaucoup de mots napolitains. » De cette double culture naîtra l’envie d’accepter les différences et d’aider les plus fragiles.

« C’était une évidence que je ne resterais jamais enfermée dans mon cabinet à soigner exclusivement les notables marseillais. Je n’ai rien contre eux mais je n’étais pas partie pour travailler en secteur 2 et faire de la médecine esthétique. »

En 1973, elle entre à la fac des sciences médicales et paramédicales. Elle a 17 ans. Très vite, elle s’engage dans divers combats. « J’ai intégré un groupe qui militait pour la libération de l’avortement et la contraception, dans la droite ligne de mes engagements plus jeune au Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception (MLAC). » En toute logique, elle participe par la suite aux combats des mouvements antimilitaristes, écologistes, altermondialistes.

Spécialisée en pédiatrie, Michèle Rubirola ouvre un cabinet dans le quartier populaire de Notre Dame du Mont, derrière la rue d’Aubagne, à deux pas du centre-ville de Marseille. Elle y restera pendant 15 ans, tout en assurant des vacations en PMI pour le compte du Conseil Départemental 13 le matin. « J’ai toujours eu à mi-temps, une activité salariée, car il fallait que je gagne ma vie. Mon père me disait, il faut que tu sois indépendante. Dans mon cabinet, je voulais faire de la médecine globale». Il s’agissait d’une pratique de médecin de famille, qui prend son temps pour accompagner ses patients. « Je souhaitais avoir du temps pour parler avec les gens. Je parlais beaucoup, je touchais beaucoup. Je finissais très tard. Les personnes âgées que je suivais me portaient un repas tout prêt pour que je puisse rentrer tranquillement à la maison. C’était super agréable. J’ai toujours reçu plein de gentillesse ».

La maire joue collectif

Après la PMI et avant d’intégrer la CPAM, Michèle Rubirola travaille sur le dispositif RMI avec le docteur Christiane Clary. « J’y ai beaucoup appris sur le travail partenarial. Et j’ai beaucoup aimé travailler avec les autres. »

Le sens du collectif guide sa vie. Elle l’a expérimenté dès son plus jeune âge dans la pratique de sports collectifs : le football à l’Olympique de Marseille puis le basket. Elle ne refuse aucun engagement associatif au service de ses valeurs.

En 2001, elle crée avec sa consœur Hélène Picon, l’association IMAJE Santé (Information Marseille Accueil Jeunes Ecoute Santé). Cette entité en plein centre ville veut faciliter l’accès aux soins des adolescents et jeunes majeurs. Puis une nouvelle rencontre avec un éducateur spécialisé, Eric Kerimel, l’amène à s’investir dans l’association qu’il dirige : HAS (Habitat Alternatif Social), une autre structure innovante dans l’accueil de personnes fragiles ou exclus. « D’abord engagée au niveau de la prévention professionnellement, je me suis investie ensuite bénévolement dans HAS. C’est un exemple pour moi. Et j’ai toujours préféré aller à HAS par exemple que dans certaines réunions politiques où je trouvais que les gens étaient trop déconnectés de la réalité, c’est ce que je disais à l’époque en tout cas… »

Un engagement écolo

En 2002, elle prend sa carte chez les Verts. « Plus jeune, j’ai eu du mal à trouver un parti qui me correspondait, mais en 2002, au moment de la montée de Le Pen, je me dis que je ne peux plus me contenter d’aller dans les manifs. Je travaillais déjà sur une médecine globale qui prend en compte l’environnement, une manière de se nourrir, etc. Les Verts prenaient en compte ces deux éléments, l’environnement et le social, cela me convenait. » Elle est élue conseillère municipale six ans plus tard dans les 2e et 3e arrondissements, parmi les plus pauvres de Marseille.

Cette première expérience comme adjointe de Lisette Narducci, déléguée à la santé et la jeunesse, lui ouvre encore davantage les yeux. « Grâce à Richard Martin et son théâtre, nous avons créé un marché bio dans ces quartiers. Je me suis rendu compte qu’installer un marché là où les gens n’ont pas le loisir de réfléchir à comment se nourrir différemment, présente un réel intérêt pour la santé. Et qu’on ne pouvait le réussir qu’en co-concertation avec la population. »

Côté professionnel, Michèle Rubirola a alors intégré le centre de prévention de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie dans les quartiers paupérisés du nord de Marseille. Elle est devenue responsable d’un programme d’éducation thérapeutique, en direction de malades chroniques pour la plupart en situation de vulnérabilité sociale. « L’éducation thérapeutique, c’est exactement ça. Que peuvent mettre en place les personnes pour améliorer leur vie, la prendre en main, devenir acteur de leur vie ? Sur le plan de la santé mais aussi sur le plan social. C’est comme ça que je conçois aussi l’engagement politique. Co-construire avec eux, ce qui leur convient et je me suis bien retrouvée dans le Printemps pour toutes ces valeurs ».

Dans l’opposition, on ne peut rien changer

Elle ne s’est donc pas défilée quand la tête de liste lui a été proposée. Malgré la suspension infligée par son parti de cœur, Europe Ecologie les Verts, qui présenta un autre candidat. « Je suis une femme engagée mais je me suis rendue compte que, tant qu’on est dans l’opposition, on ne peut rien changer et c’est très frustrant. Mon rêve, avant d’arrêter la politique, c’est d’être aux manettes dans un collectif et ensemble, de pouvoir faire passer des idées. Je n’aime pas faire de grands combats mais j’aime être dans l’action, dans la construction. Et c’est ce que j’aime dans le Printemps marseillais, comment construire ensemble. »

La maire de Marseille aimerait faire de la politique comme si elle faisait « de l’éducation thérapeutique, en concertation avec tout le monde. Quelque soit le sujet, mettre en place la réflexion collective, envisager les solutions, et les mettre en place ensemble. » Et d’ajouter, avec conviction : « Mon but, c’est de prendre soin des Marseillais. »

L’école, l’amélioration de l’habitat et bien sûr la santé de sa population s’affichent comme ses enjeux prioritaires. En tant que maire et présidente de l’APHM, il va être question de renouveler le conseil de surveillance et faire évoluer la continuité du soin. « Je travaille avec une équipe de gens très très costauds dans ce domaine, pour réaliser des états généraux de la santé avec les acteurs spécialisés de médecine ou associatifs. Redonner des lettres de noblesse à ce service public, augmenter le nombre de Permanences d’Accès aux Soins de Santé, en s’appuyant sur les immenses médecins que nous avons à l’APHM. »

Une femme de conviction

Michèle Rubirola travaille en fonction de ses convictions et les Marseillais ne s’y trompent pas. Ils la connaissaient peu il y a moins d’un an, ils l’appellent aujourd’hui Michèle quand ils la croisent au marché ou dans le métro. Ses partisans apprécient par dessus tout son authenticité et ses valeurs humanistes. Si cela avait été possible, Michèle Rubirola aurait continué à exercer son activité de médecin pendant son mandat. « La médecine, c’est ma grande passion. » Elle n’a d’ailleurs pas vraiment renoncé à ce projet humanitaire en Afrique, à moins qu’une fois son mandat terminé, elle ne parte avec son mari sur les routes en camping car …

De notre correspondante Hélène Foxonet

Source : Le Quotidien du médecin