Médecin retraitée, j’ai aujourd’hui la disponibilité pour accompagner un de mes proches à une première consultation médicale spécialisée. Son médecin traitant, à proximité et toujours à l’écoute, trouvant le cas « sérieux », a pris soin de décrocher son téléphone pour obtenir un rendez-vous auprès d’un cardiologue sous un très court délai : 48 heures. « Vous verrez, ils sont rapides. Ils ont des aides pour vous recevoir, puis le cardiologue : clac, clac, il fait son truc puis vous voit. C’est technique, mais très efficace ! ». Nous étions prévenus.
Pas de nom sur les portes dans la MSP. La salle d’attente, mise au carrefour des couloirs menant aux bureaux de consultation, est anonyme et neutre : murs entoilés peints en blanc, faux plafonds comme ça se fait dans les entreprises, un comptoir d’accueil où passé 16 h il n’y a plus de secrétaire ni d’accueil téléphonique… Je suppose alors que tout est basculé sur Doctolib. Ici, rien n’est personnalisé.
Les portes s’ouvrent cependant, les gens passent… mais on ne sait qui est qui, ni qui fait quoi. Qui est le cardiologue, l’ORL, l’orthoptiste, l’infirmière ou le kiné, l’ostéopathe, le psychothérapeute, le ou la nutritionniste ? Ici, aucun repère ne nous est donné.
Un jeune homme musclé et costaud, à la coupe de cheveux soignée, appelle les patients. Il nous fait entrer sans se présenter. Qui est-il ? Est-ce le « Docteur » ou le nouvel IPA ? Très vite assis derrière l’écran d’un ordinateur, il tapote sur le clavier. À ses côtés un autre homme plus jeune encore, plus grand et maigre. Rien ne nous est annoncé mais de sa voix aigrelette toujours adolescente, il questionne déjà le patient mis à moitié nu… les symptômes, l’intime, pas de retenue.
Ont-ils appris à écouter ?
Le patient aux cheveux blancs paraît abattu. Se sent-il vulnérable, subitement fragile, face à une prétendue autorité qui n’a pas dit son nom ? Observatrice de la situation, non soumise aux questions, j’avoue être sidérée de voir de quelle façon se déroulent ces consultations d’un nouveau genre. Des questions fermées orientées vers des précordialgies dont le patient ne se plaint pas, mais qu’il devrait avouer ? Le jeune investigateur n’a pas appris à écouter les propos des patients : une carence dans son enseignement. Les deux jeunes gens présents me semblent finalement assez ignorants !
Une porte découpée dans le mur blanc s’ouvre brusquement. Un alerte et grand barbu, en tee-shirt d’été au mois de février annonce fièrement : « Je suis le Docteur ! ». Il s’assoit lui aussi derrière un nouvel écran, placé cette fois à côté du patient. Pas plus de mots que de paroles, il égrène des lettres et des chiffres dans un néo-langage par eux seuls compris : les deux assistants et lui.
« Venez, on va parler. Je vais vous expliquer ». Il faut passer torse nu dans la pièce à côté, vite ramasser ses affaires et en oublier sa paire de lunettes. Puis s’asseoir ou tenter de se rhabiller ? Suivent quelques questions plus objectives sur les signes cliniques, mais aucune sur le vécu des symptômes. Et taper toujours sur le clavier. À le voir regarder autant l’écran, je pense que le confrère rédige son courrier tout en consultant.
Le patient se rhabille lentement, probablement frustré : c’en est assez pour cette journée ! Je crois l’entendre glousser derrière son masque anti-Covid : est-ce pour sourire ou pour ironiser sur ce qu’il vit ? Car combien de fois leurs regards se sont-ils véritablement croisés ? Ont-ils véritablement échangé, partagé ?
Enfin le « Docteur » parle : « Votre cholestérol ? Il faut atteindre un LDL à 0,55, Monsieur ! » Monsieur ne fume pas, ne boit pas, n’est ni hypertendu ni obèse, et tartine déjà avec Pro-Activ à cause des antécédents familiaux. Bien sûr, il y a la génétique aussi. Mais à annoncer ainsi les catastrophes à venir, le discours du spécialiste nous fait passer d’une médecine préventive à une médecine prédictive.
« La clinique vous téléphonera pour… » Mais nous n’avons pas compris pourquoi. « Pour l’écho, c’est à vous de téléphoner au Docteur… » Qui ? Où ? Nous ne le connaissons pas. « Le holter, vous viendrez le faire poser ici. » La date ne nous a été ni proposée ni précisée mais imposée et découverte dans le compte rendu. Lorsque le patient finit par en prendre connaissance, il constate que celle-ci ne convient pas avec son emploi du temps : il devra appeler le secrétariat (avant 16 h, SVP !) pour annuler et la reprogrammer. Pour qui est le temps gagné ?
La nouvelle génération de médecins défend une autre façon d’exercer le métier. Elle revendique un « juste » équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle : c’est entendu. Mais, où se situe le « juste » équilibre pour le patient ? La haute qualité technique des soins proposés ne peut être reconnue sans qu’un contrat de confiance ne se soit installé entre le médecin et le patient. Cela nécessite de prendre un peu de temps. Le temps d’accorder un peu plus d’attention au patient, d’échanger des regards, lui faire ressentir notre bienveillance à son égard, et de partager, dès que leCovid-19 le permettra, au moins une poignée de mains : ce symbole de la réciprocité d’engagement dans le contrat ainsi scellé. Mais il paraît qu’on n’en est plus là ! Aujourd’hui, on n’a plus le choix.
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