Il faut avoir de sacrées raisons pour quitter une salle de cinéma longtemps après la fin du générique… Peu de gens lisent les préfaces, ou alors après la fin de l’ouvrage, et en cela ils ont raison. Encore moins partent d’une salle obscure, après le dernier nom apparaissant à l’écran en blanc sur fond noir… Qui s’intéresse au patronyme du cinquième caméraman ?… À celui de la maquilleuse du troisième opus d’un navet ?...Mes raisons ?… C’est que je veux prolonger cet instant d’image, anagramme de magie, avant de retrouver ma terne vie…
Né en Sibérie, dans la ville de Oymyakon, qui détient avec -68 °C en 1933, le record terrestre de la plus basse température, Piotr Lourbatchev était mon camarade de classe de 5 à 17 ans, avant qu’il disparaisse sans laisser de trace. Il véhiculait par son physique et son esprit des légendes, que ma naïveté et mon inculture rendaient crédibles… Il avait tué des loups à mains nues, mangé des vampires, égorgé des oppresseurs et brûlé des icônes à la bougie.
Il m’enseigna qu’il faut lutter contre le froid avec les armes du froid et qu’en dessous de 15 degrés s Celsius, aucun esprit n’est apte à discerner le Bien du Mal… Bref, une idole, dans l’exacte mesure où il était aux antipodes de la vie que je vivais et en adéquation avec celle que je rêvais de vivre.
Assidu des salles sombres, je repérai son remarquable nom aux génériques… Il y figurait tout d’abord dans certains films, tout à la fin en accessoiriste, puis au fil des ans sur tous les films, sans exception, et son patronyme apparaissait de plus en plus tôt sur la liste qui défilait sur l’écran, paré de fonctions de plus en plus honorables, mais à chaque fois, même si la liste s’écourtait, il y émergeait toujours en dernier… Il donnait l’impression de remonter d’un cran à chaque nouvelle apparition, à chaque nouveau film…
Je pense qu’il tue ses prédécesseurs au générique et s’empare de leur fonction. J’assisterai à toutes les séances avant qu’il y figure en réalisateur… Mais qu’il fait froid dans cette salle où je demeure seul ! Mon portable indique -15 °C… Et mon nom vient d’apparaître au générique.
Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans le « Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
Appendicite et antibiotiques
La « foire à la saucisse » vraiment ?
Revoir la durée des études de médecine
Réformer l’Internat et les hôpitaux