À quelques semaines du terme des discussions sur la future convention, les clignotants sont à l'orange et les négociateurs ne sont toujours pas sur la même longueur d’onde. Arrivera-t-on à un accord ? Certains leaders syndicaux commencent à douter. Et parmi leurs prédécesseurs - les Chassang, Bouton et Cabrera que nous avons interrogés - les avis sont aussi partagés…
Le ton monte à l’Assurance Maladie. Et la semaine passée, les portes commençaient même à claquer… Tout avait pourtant bien commencé, les négociations se déroulant sans accroc majeur depuis le 24 février. Mais ce qui s’apparentait à un long fleuve tranquille – la valorisation du médecin traitant, les rémunérations forfaitaires et autres sujets ayant été égrenés au fil de réunions hebdomadaires où prévalaient, de l’avis de tous, écoute et échanges – pourrait prendre une autre tournure à mesure que l’issue des négos se rapproche.
Depuis qu’il est précipitamment parti de la table des négociations, le 1er juin, le président du SML, Éric Henry ne cache plus son exaspération, même si le climat était plutôt à l’apaisement lors de la toute dernière réunion, mercredi. Un sentiment peu ou prou partagé par ses confrères autour de la table, que certains semblent de plus en plus tentés de quitter. L’impatience des syndicats n’est pas nouvelle mais elle vire désormais à l’agacement alors que la signature de la prochaine convention est censée intervenir d’ici à la fin juillet. Une issue qui semble plus hypothétique que jamais.
[[asset:image:10366 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["Garo\/Phanie"],"field_asset_image_description":["Le directeur de la Cnam teste depuis le 24 f\u00e9vrier sa m\u00e9thode de n\u00e9gociation. Un rythme lent qui se heurte d\u00e9sormais aux impatiences des syndicats"]}]]De mémoire de négociateurs, on n'a sans doute jamais connu de cadre budgétaire aussi contraint, même si l’Assurance Maladie entretient un certain flou à ce sujet. Cette inconnue apparaît d’ailleurs de plus en plus difficile à supporter pour certains syndicats. Il y a quelques semaines déjà, Éric Henry pointait « un manque de transparence côté budgétaire ». « Comment monter un programme » conventionnel faute de connaître l’ampleur des moyens dont dispose la Caisse s’interrogeait-il, hésitant sur le point de savoir si les discussions relèvent d’« un marché de dupes ou d’une réelle négociation ». Au lendemain de son coup d’éclat, le leader du SML n’en démord pas : « J’en ai marre qu’on nous emmène quelque part sans nous dire où », la destination étant déterminée par « la somme qui sera sur la table ».
Tout en reconnaissant l’importance du chiffrage et des possibilités financières de la Caisse, Luc Duquesnel relativise, « le montant de l’enveloppe, on ne l’a jamais, ce n’est qu’à la fin qu’on le connaît ». Claude Leicher va même jusqu’à voir un aspect positif à ne pas la connaître : « Je veux qu’elle puisse évoluer selon les besoins. Je ne veux pas savoir dès maintenant qu’elle est rigide », ajoute le président de MG France.
La revalorisation du C, un préalable indispensable
Ces crispations montrent surtout l’inquiétude des syndicats à un moment où la contrainte financière est plus serrée que jamais. Le gouvernement a en effet acté la progression des dépenses de santé à 1,75 % jusqu'à 2017 au moins, ce qui implique un vaste programme d’économies sur les soins de ville estimé à 1 Md€. Un élément crucial alors que la revalorisation du C semble constituer un préalable indispensable à tout accord. Or, la hausse de 2 euros du tarif de la consultation représente, à elle seule, une dépense d’au moins 570 M€, selon une estimation « basse » de la Cnam. Un montant qui ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre pour faire droit aux autres revendications. Or, comme aiment à le rappeler les chefs de file des organisations, « on n’est pas venu pour 2 euros ».
Ces contingences budgétaires tombent d’autant plus mal que les médecins sur le terrain sont exaspérés comme jamais : le C n’a pas bougé depuis plus de cinq ans… Un état d'esprit vindicatif qui pousse leurs représentants à la surenchère. Surtout du côté des généralistes, spécialité particulièrement affectée par les problèmes de démographie, comme l’a récemment rappelé l’Atlas de l’Ordre des médecins, ainsi qu’un manque de moyens et de reconnaissance, aux dires des syndicats.
Équité entre tous les médecins
« C’est important que la priorité soit mise sur la médecine générale », juge le chef de file de l’Unof-CSMF, d’autant plus « quand on voit le niveau de revenus des généralistes et le différentiel avec les autres spécialistes qui s’est accru ». L’ensemble des structures syndicales s’accorde d’ailleurs à mettre l’accent sur la médecine générale. La nécessité « d’une équité entre tous les médecins » est même apparue lors des Assises de la médecine libérale, regroupement des cinq syndicats de libéraux créé à la faveur des négociations conventionnelles, comme un préalable à celles-ci. « Cela s’est imposé par la réalité, il n’y a pas que MG France qui parle de catastrophe en matière de médecine générale », convient Claude Leicher pour qui « 99 % du budget des négos doivent aller pour la spécialité ».
Mais si le constat est unanime, reste à savoir dans quelle mesure la Cnam pourra répondre à ces attentes… Et satisfaire également celles des spécialistes. Car, dans les rangs d’organisations polycatégorielles, la pression monte pour un espace de liberté tarifaire. Problème : la revendication n’a aucune chance d’aboutir, Nicolas Revel ayant affirmé à différentes reprises qu’elle constituait la ligne jaune qu’il ne franchirait pas. Et il est difficile de parier sur un revirement de position, le gouvernement, à l’origine du Contrat d'accès aux soins, ayant fait des dépassements d’honoraires l’un de ses principaux combats.
[[asset:image:10386 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["Phanie"],"field_asset_image_description":["\u00ab Une signature est plus qu\u0027improbable \u00bb"]}]]Contexte financier d'autant plus lourd que le climat est tendu avec les pouvoirs publics. Car le souvenir de la réforme Touraine n’est pas loin, et l’ombre du tiers payant plane sur les négociations. « Les deux sujets sont assez liés », estime Patrick Hassenteufel, professeur de Sciences politiques à l’université de Versailles, qui rappelle que la FMF et d’autres syndicats ont décidé de boycotter l’installation du comité de pilotage du tiers payant. « Au départ, il n’y avait pas de climat de confiance », analyse l’universitaire pour qui subsistent néanmoins des fenêtres de tirs. « Les syndicats sont en position d’obtenir des éléments pour leurs troupes », considère-t-il, pariant sur « un relâchement partiel de la contrainte budgétaire ». À l’instar des mesures annoncées pour la culture ou l’éducation « il n’est pas impossible qu’il y ait des assouplissements dans le domaine de l’Assurance maladie », imagine Patrick Hassenteufel. D’autant plus que « le gouvernement aurait intérêt à ce qu’une convention soit signée » pour ne pas raviver le mécontentement des médecins…
[[asset:image:10376 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["\u00ab Nous ne l\u00e2cherons pas les n\u00e9gociations pour arracher le maximum jusqu\u0027au bout \u00bb"]}]]Un optimisme pas forcément partagé par les pricipaux intéressés. Pour Claude Leicher, un accord est « assez peu probable. Les chances d’y arriver sont extrêmement faibles, mais nous ne lâcherons pas les négociations pour arracher le maximum jusqu’au bout ». « On est loin d’être enthousiastes », confie Jean-Paul Hamon, dont le syndicat a, malgré tout, décidé samedi de «continuer à participer aux (pseudo)négociations conventionnelles.». La délégation de la FMF se rendra aux séances dédiées aux actes techniques, cliniques, à l’évolution de la ROSP et au forfait structure. « On a décidé d’épuiser toutes les négociations possibles et après on verra », explique le généraliste. Mais « compte tenu du peu d’avancement et d’ouverture après des mois et des mois de négociation », l’hypothèse d’une signature est, à ses yeux, « plus qu’improbable ». « Il faut qu’on fasse le tour des sujets », considère aussi Luc Duquesnel et « si on voit qu’il n’y a pas de grain à moudre, ce sera le moment de claquer la porte ». En attendant, sur les forfaits ou les niveaux de consultations, il « va se battre ».
Vers un règlement arbitral ?
À un mois de la fin des négos, les syndicats ne semblent donc résolument pas enclins à signer. Leur unité représente un obstacle d’autant plus compliqué pour la Cnam que la loi HPST a quelque peu changé les règles du jeu : une convention doit être signée par des syndicats ayant obtenu au moins 30 % des suffrages dans chacun des trois collèges lors des élections professionnelles. Un seul syndicat n’est donc plus de facto en mesure de signer seul une convention… Et, étant donné l'éparpillement constaté lors des dernières élections, l’Assurance Maladie doit pratiquement compter sur trois organisations pour éviter un veto. Un trio dont il est difficile de prédire qu’il se formera. Les syndicats affichent bien un front uni basé sur des revendications communes. Mais rien ne dit que cette unité inédite ne se fissurera pas à l’heure des dernières tractations, chacun devant, avant toute chose, satisfaire sa base.
Et si l’avenir de la négociation 2016 passait alors par un règlement arbitral ? Ce pourrait être pour certains une façon de laisser faire, sans trop se mettre en porte-à-faux avec des adhérents de plus en plus remontés. « Il ne faut pas vouloir signer à tout prix », plaide Luc Duquesnel qui, moins pessimiste que ses confrères, relève que le règlement arbitral rédigé pour les maisons et pôles de santé s’est révélé « plus avantageux pour les médecins ». Une solution qu’Éric Henry juge « très dangereuse ». Les syndicats ne seront alors « plus crédibles par rapport à notre base, prédit-il. Ils ne tiendront rien, ça sera une vraie anarchie des tarifs. » De toute façon, comme le rappelle Jean-Paul Hamon, un règlement arbitral, « ça se négocie aussi », un C à 25 euros n’étant pas acquis par principe. « Si une convention unique n’est pas possible, alors nous examinerons la possibilité d’en faire une pour les généralistes », suggère Claude Leicher pour qui un règlement arbitral serait synonyme de « rupture proche » avec les médecins.
S’abstenir de signer un texte est donc juridiquement possible et presque politiquement probable. Cela s’est déjà vu… Mais attention, ce scénario affaiblirait les syndicats : le législateur pourrait, en effet, être tenté d’étendre son emprise sur l’espace conventionnel. Et les organisations pourraient alors voir la transformation du système de santé se faire sans eux..