UN MEDECIN/UNE VIE
L ES vocations diverses de Victor Schlogel ont toutes en partage la médecine. « La médecine, c'est mon fond de pensée », proclame-t-il. La médecine conçue comme un sacerdoce : « Enfant, je voulais déjà aider les autres, se rappelle-t-il, évoquant la figure, qui l'avait ébloui tout petit, du médecin de la famille Schlogel, qui venait guérir les malades ; un cabinet médical, au fond, c'est un peu un confessionnal... Du temps que je consultais, j'avais adopté un rituel d'entrée en matière, en lançant systématiquement au patient qui franchissait la porte de mon bureau la même question : "Et qu'est-ce que je peux faire pour vous ? »
Ce soin des autres, Victor Schlogel l'aurait pu prodiguer par un autre truchement professionnel, l'enseignement, par exemple. C'est qu'il a toujours cultivé un goût naturellement prononcé pour la pédagogie. En toutes choses et sur tous les sujets, ce qu'il aime, c'est raconter et expliquer.
Rude férule
En témoigne, intarissable, son plus vieil ami, le Pr Jean-Louis Portos, président du Sou Médical, son condisciple, dans les années cinquante, à la faculté de médecine de Paris : « Quand nous préparions l'internat, nous avions constitué un petit groupe de six étudiants et c'est Victor qui, avec cette limpidité d'expression, ce sens très exercé de l'analyse et ce don inné pour l'organisation qui le caractérisaient déjà, nous entraînait à travailler d'arrache-pied. Il avait réglé nos emplois du temps comme du papier à musique, ne nous laissant que quelques heures de répit chaque semaine. »
Ses compagnons n'ont pas eu à regretter de s'être pliés à sa rude férule, puisque tous ont ainsi décroché le concours.
Plus tard, ce côté prof, Victor Schlogel l'assouvira en inventant le diplôme de secrétaire instrumentiste médicale, rédigeant pour cela un cours qu'il dispensa quelques années dans une école de la rue de Liège, à Paris. Mais, dans l'immédiat, c'est vers la chirurgie que le jeune Schlogel s'oriente. « A l'époque, se souvient-il, la médecine était tellement approximative, son inefficacité était telle que, a contrario , l'aspect rationnel, précis et immédiatement efficace de l'acte chirurgical ont emporté ma préférence. »
Élève du Pr Jean Debeyre, « un patron très dur, l'archétype du chirurgien, très physique et très courageux, capable d'opérer dix à douze heures par jour », il fait ses premières armes à l'hôpital de Berck (Pas-de-Calais) avant de se retrouver chef d'antenne chirurgicale en Algérie, à Colomb-Béchar, puis à Constantine. Des conditions extrêmes, au cur du bled, où il va effectuer des gastrotomies ou des colostomies, actes nouveaux pour l'époque, son « Quenu » (manuel de chirurgie générale très diffusé à l'époque) posé sur un lutrin, dans un coin de la salle d'opération. Ces vingt-huit mois vont lui laisser un goût ineffaçable d'amertume pour tant d'énergie gâchée.
Chirurgien à Saint-Trop
Au retour, Berck, à nouveau, et puis Sartrouville, une clinique où il opère pendant huit ans ; un détour par les Etats-Unis, au Children's Hospital de Chicago, le temps de découvrir les applications médicales naissantes de l'informatique et... Saint-Tropez, enfin. Un remplacement, pour commencer, en 1971, des prolongations, dans la foulée, et voilà le Dr Schlogel lancé dans le rôle enviable du chirurgien de la station déjà très jet-set du Var, unique chirurgien dans sa clinique, avec une clientèle extraordinaire où, au milieu des campeurs fauchés, il aura bien sûr affaire aux « figures locales ».
Dans cet univers très show-biz, ce couche-tôt impénitent, qui rentre chez lui à minuit, l'heure où on passe à table, côtoie André Roussin, René Clair, Maurice Genevoix, Gérard Oury, Michèle Morgan, Peter Sellers, Romy Schneider, Claude Sautet, Larry Collins et Dominique Lapierre, parmi beaucoup d'autres. Le Who's Who comme fichier clients.
Mais en 1974, la fête manque de tourner à la tragédie. Une hépatite ravageuse le laisse sur le flanc pendant six mois, au point que le simple fait de respirer l'épuise.
Deuxième vie
C'est du creuset de ses souffrances que Victor Schlogel va extraire un livre, son premier roman, très autobiographique donc, où il dépeint les affres d'un médecin passé « de l'autre côté du bistouri », sans savoir que s'ensuivra, quelques années plus tard, sa deuxième vie, son deuxième métier et son nouveau sacerdoce.
Car, en se lançant dans l'écriture, le pédagogue renoue avec le médecin dans le souci d'édifier ses lecteurs. « Schlogel ne fait pas dans les bons sentiments à l'eau de rose, à la manière de la collection Arlequin, observe son éditeur, Claude Durand. Mais il s'emploie à ouvrir les esprits sur de vrais problèmes de société, toujours reliés à sa compétence de médecin. De cette manière, il s'inscrit dans une grande tradition française, où il rejoint un autre médecin-écrivain, comme André Soubiran. Comme lui, ses sujets ont toujours trait à la médecine. Et il excelle à les mettre en scène, avec un don inné de narrateur et une prose limpide. »
Le premier éditeur à qui Victor Schlogel envoie son manuscrit sera, cela dit, beaucoup moins dithyrambique que le patron de Fayard. En fait, le livre est refusé. Et les velléités littéraires du chirurgien de Saint-Tropez semblent avoir fait long feu. Ce n'est qu'en 1981, sept ans plus tard, que grâce à l'entregent amical de Dominique Lapierre, qu'il aura l'heur d'être publié, chez Belfond.
Bernard Pivot l'invite à Apostrophes. Le pape télévisuel des lettres lui fournit une tribune inespérée pour un premier livre. En quelques semaines, 100 000 exemplaires s'arrachent. Une étoile est née. S'ensuivent, les trois années suivantes, trois livres de commande (« l'Antirégime ou lettre à mes frères Troigros » (Orban), « la Santé et le vêtement » (PM Favre éditeur) et « le Guide de la santé en vacances » (Orban). La presse féminine et les magazines grand public se précipitent et assurent la promo.
Un jeune auteur de 60 ans
Chemin faisant, le chirurgien de Saint-Tropez commence à se prendre au jeu. En 1984, retour au roman, avec « le Malingot » (Belfond), histoire du fils d'un guérisseur de province, à la fois craint et vénéré dans toute la région, qui décide de monter à Paris pour y faire sa médecine.
Quoique récompensé par le prix Littré (décerné par le Groupement des écrivains médecins), l'ouvrage ne recueille pas les faveurs des foules et la carrière littéraire de son auteur, un moment, paraît battre de l'aile.
Qu'à cela ne tienne. En 1992, la soixantaine venant, Gilbert Schlogel décide de poser le bistouri. « Je suis alors devenu jeune auteur », se souvient-il. Cette année-là, c'est la rencontre décisive avec Claude Durand. « Les Princes du sang » sortent chez Fayard. Sur un fond romanesque, c'est la saga d'une dynastie de cinq chirurgiens au long de deux siècles, prétexte à l'évocation des progrès accomplis depuis le XVIIIe siècle.
Dès lors, chaque année sera publié un Schlogel, valeur éditoriale confirmée de la maison Fayard. « Docteur Hellen » (1994), « Rage de flic » (1995, prix du Quai des Orfèvres), « Victoire ou la douleur des femmes » (1996, adaptée en trois films de quatre-vingt-dix minutes en 2000 par Nadine Trintignant et récompensé par un 7 d'or en octobre dernier).
En 1997, « le Festival de la galère, ou l'itinéraire du père Hubert » raconte l'histoire d'un prêtre franciscain de 63 ans, Hubert Barral, qui consacre sa vie à la défense des défavorisés, SDF, malades du SIDA, que ce religieux atypique héberge dans son presbytère de Bernègues, en Provence.
A l'aide des exclus
Avec ce récit, nous atteignons le point de confluence des genres. S'y cristallise la triple vocation de Gilbert Schlogel : celles du médecin, de l'homme d'écriture et du militant associatif bénévole. Sans faire mystère de son athéisme « bon teint », ni de la défiance qu'il entretient envers les églises en général et l'Eglise catholique en particulier ( « Mais qu'est-ce que le pape et les évêques viennent dans faire dans nos lits ? », s'emporte-t-il, stipendiant la morale sexuelle romaine), Victor Schlogel a trouvé dans le père Hubert un ami et même, confie-t-il, un frère. Il le rencontre dans l'« espace-vie » créé dans la région d'Aix-en-Provence. Depuis huit ans, il s'y est engagé sans publicité comme bénévole, découvrant un univers nouveau.
« Victor a compris alors qu'il ne s'agit pas de faire une BA, raconte le père Hubert, mais d'aider les exclus à se prendre eux-mêmes par la main, à s'accueillir entre eux. Il ne s'agit pas tant de faire quelque chose de précis en leur faveur que d'être simplement avec eux. Sans plus. »
« Il est vraiment rare de rencontrer quelqu'un qui accorde à ce point sa pensée et son action, surenchérit un autre ami, un autre « frère », Dominique Lapierre. J'ai vu ce grand chirurgien devenu grand écrivain faire la vaisselle de SDF frappés par l'alcool, la drogue et la solitude. J'ai vu à l'uvre sa solidarité pour les formes multiples de misère humaine, la compassion, l'amour qu'il donne à ceux qui n'en ont pas.... Des gens comme Victor Schlogel, ou comme mère Teresa, ont compris qu'il ne suffisait pas d'être spectateur et que sur l'orbite où chacun se trouve, il faut s'engager dans l'action en faveur des gens les plus déshérités de notre monde. Une chose est faire simplement un don. Mais c'est une toute autre chose que d'aller sur le terrain, pour montrer, en actes, qu'on est frère des exclus. »
A ceux qui reprocheraient à l'ex-chirurgien de Saint-Tropez devenu auteur à succès, consacré par les télés et les prix, d'avoir un ego gros comme ça, ses amis répondent qu'on ne donne qu'à la mesure de ce qu'on est. Et que Gilbert Schlogel a un cur gros comme son ego.
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