U N psychopathe se livre à trois braquages contre des médecins, entre novembre et décembre 2000, et, chaque fois, un complice s'empare de la carte bancaire de sa victime. Des gamins de 10-14 ans, depuis six mois, provoquent, « plus que d'habitude », des bousculades ou commettent des vols à l'arraché ou à la roulotte, font irruption dans des cabinets médicaux et s'emparent du mobilier des salles d'attente, ou agressent des patients, notamment les mardis et vendredis, jours de marché. Des pouvoirs publics silencieux. Des policiers impuissants. Une justice dépassée. Une profession médicale divisée entre ceux qui n'entendent pas s'exclure du contexte socio-économique et ceux qui voient leur salut dans l'émigration vers des terres moins hostiles.
Ces faits, qui se produisent régulièrement au Val-Fourré, nuisent aux généralistes comme aux 23 000 autres citoyens de ce quartier « difficile » de Mantes-la-Jolie, classé « zone franche » depuis 1997. « Ce n'est pas invivable », affirme cependant Olivier Barbier, chargé de mission auprès du maire RPR. « Environ 150 jeunes, qui se sentent impunis car pénalement irresponsables, posent de petits soucis », dit-il.
Mais ce n'est pas par hasard si le Val-Fourré est reconnu « à risques ». Et des efforts sont fournis pour rendre le quartier moins difficile. Depuis 1995-1996, deux tours de 340 logements ont été supprimées, deux autres suivront l'été prochain. Des « barres sont grignotées », scindées « pour avoir l'allure de résidences ». Les centres commerciaux sont rendus plus attrayants. Un contrat local de sécurité (1997) rend solidaires et « participatifs » les bâilleurs sociaux, la commune, les forces de l'ordre, l'Education nationale, la chancellerie et le mouvement associatif.
« Toute la misère du monde
en un seul lieu »
Le Dr Charles Soussi, qui est le seul des 16 omnipraticiens du Val-Fourré à habiter « sur place », a connu « du bon temps ici », de 1968 à 1985, « au point d'y avoir élevé (ses) 3 enfants ». « Puis, commente-t-il, le chômage a fait des ravages. Le gros problème, c'est qu'on ne peut pas mettre toute la misère du monde dans un seul lieu. Il ne s'agit pas d'une question ethnique ou autre. Lorsqu'il n'y a rien à voir, hormis des gens en difficulté, l'horizon se bouche. Bien sûr, on s'adapte. En tant que responsables, on prend des mesures de précaution, du genre bien fermer les portes et les fenêtres et ne pas se déplacer avec de l'argent. On n'est pas tous les jours à la fête, évidemment, quand on découvre une vitre brisée. Mais, ajoute le praticien, je reste là, car je me sens bien parmi mes patients ».
Sa consur, Irène Majzels, 50 ans, parle de « terrorisme organisé ». « J'ai peur de venir travailler, confesse-t-elle. Un stress permanent me lessive. Tenez, aujourd'hui, ma concierge a eu les côtes cassées par un "groupe" auquel elle demandait de quitter le hall de l'immeuble. L'autre jour, l'un de mes jeunes patients, qui a cherché à s'interposer lors d'une altercation devant une grande surface, a été victime d'une opération punitive à coups de barre de fer sur le crâne. Je dis que les autorités ont mis un couvercle sur la marmite, et elles attendent que ça explose. Si la police en interpelle un, 50, 100, 200 rappliquent. En ce qui me concerne je suis lasse. Je vais partir. »
« Jusqu'à ces derniers mois, raconte le Dr Majzels , j'arrivais à mon cabinet le matin à 9 heuyres, je le quittais à 19 h 30 ; depuis l'été, j'arrête à 18 h, contrainte et forcée. Il y a quatre jours, vers 19 h, on a volé à un médecin sa sacoche qui contenait ses papiers d'identité. Quotidiennement, mes carreaux volent en éclats ou les chaises disparaissent de ma salle d'attente. En 1996, "ils" ont incendié mon bureau, et deux ans plus tard "ils" embarquaient du matériel et cassaient le reste. En décembre 2000, ma porte d'entrée a été fracturée, et je ne l'ai même pas déclaré à l'assurance, qui a décidé de ne plus renouveler mon contrat. Tout est permis à une certaine population, et cela commence par les 8-13 ans, qui commettent de petits délits, harcèlent et insultent ».
L'Ordre chez le préfet
Dans ce climat, les 35 médecins, chirurgiens-dentistes, gynécologues, kinésithérapeutes, infirmières et pharmaciens mantais du Val-Fourré (1) se sont mis en grève, le 21 décembre, pour sensibiliser la population et les pouvoirs publics aux agressions dont ils sont de plus en plus victimes.
Lors d'une table ronde à la mairie, le jour-même, en présence du premier magistrat Pierre Bédier et du sous-préfet des Yvelines, les praticiens ont réclamé un renforcement de la sécurité. Parmi les mesures envisagées : la création d'une « Maison de la santé sécurisée ». Elle disposerait d'un système de vidéosurveillance et d'un service de gardiennage évitant qu'un médecin ne se retrouve isolé en début de soirée.
De son côté, le président du conseil départemental de l'Ordre, le Dr Gérard Ménager, a rencontré hier le préfet des Yvelines. « La problématique est celle de la maintenance, explique-t-il au "Quotidien". Il existe, d'ailleurs, quatre ou cinq autres zones sensibles dans le département. Je m'en préoccupe depuis plus d'un an, et nous savons, d'ores et déjà, que l'accompagnement des médecins de garde par un service de sécurité n'est pas une solution. Nos confrères de Trappes l'ont expérimenté en vain. »
Pour sa part, le Dr Malek Abderrahim, syndiqué à MG-France, « en poste depuis vingt-quatre ans », pense qu' « on a passé le cap du stade de l'urgence, du discours traditionnel et habituel ». « La naissance, le 8 janvier, de l'Association des professions de santé du Val-Fourré (APSVF) en témoigne. Nous continuons à travailler et nous entendons trouver nous-mêmes la solution des problèmes auxquels nous sommes confrontés, souligne-t-il. Aucun d'entre nous n'a déserté le quartier ou refusé d'assurer des soins, comme nous l'avons vu à Vernon (Eure) dans des zones dites de non-droit. Oui, l'APSVF marque un tournant. Elle va s'employer à améliorer localement nos conditions de travail. »
La Maison médicalisée pourrait sortir de terre dans les deux ans. Neuf sur seize des généralistes y sont favorables. L'édifice, à la charge des praticiens, bénéficierait de fonds publics pour sa « sécurisation ». « Nous prendrions en compte également, indique le Dr Malek Abderrahim, l'ensemble des problèmes sociaux de nos patients (logement, chômage, etc.), en liaison avec le monde institutionnel et associatif ».
Au niveau des gardes, le système en place couvre la communauté d'agglomérations, avec ses 83 000 habitants (2), et « peu de généralistes du Val-Fourré y participent, en particulier depuis l'installation récente de SOS-Médecins, et de l'inauguration, en 1999, de l'hôpital ultramoderne de Mantes-la-Jolie ».
(1) Trois médecins spécialistes exercent au Val-Fourré.
(2) La communauté d'agglomérations, avec Mantes-la-Jolie (44 000 habitants), compte environ 60 omnipraticiens.
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