D EPUIS les derniers mois de l'année 2000, la saturation est le lot quasi quotidien des services d'urgence de l'Ouest parisien. Régulièrement frôlée, la « catastrophe » est redoutée chaque jour par les équipes concernées.
Responsables de cette situation : la fermeture de l'hôpital Boucicaut et le retard pris par la mise en service de l'hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP).
Car dans l'opération, un service d'urgence a disparu - celui de Boucicaut, dont les portes se sont définitivement closes en novembre - et un autre ne fonctionne toujours pas - celui de l'HEGP, dont le lancement est aujourd'hui repoussé sine die pour cause de légionellose. Propriétaire des deux établissements, l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) a bien mis en uvre, pour pallier le « vide », des moyens supplémentaires dans ses hôpitaux de l'ouest de la capitale (Cochin et Ambroise-Paré). Il faut croire que cela ne suffit pas. Non que les médecins et les infirmières envoyés en renfort ne parviennent pas à prendre en charge un surplus d'activité de l'ordre de 20 ou 25 %, mais sans doute parce que la désorganisation transitoire des urgences de l'Ouest parisien se greffe sur une situation très tendue.
« A la base, nous sommes déjà proches du niveau de saturation », explique le Dr Dominique Brun-Ney, chef de service aux urgences d'Ambroise-Paré. Résultat, les malades, de plus en plus serrés - « Nos locaux ne sont pas extensibles ! », rappelle le Dr Brun-Ney - piétinent à la porte des services. Ils y sont pris en charge par des médecins et des infirmières de plus en plus stressés.
« On frôle le pépin »
Dans le 14e arrondissement, l'hôpital associatif Saint-Joseph accueillait jusqu'à l'automne de 90 à 100 personnes par jour dans son service d'urgence. Aujourd'hui, il en soigne 120, a dû adjoindre un nouveau médecin à son équipe d'urgentistes pour faire face. « Le flux de malades met une pression énorme sur les personnels. La grande hantise, c'est de passer à côté de quelque chose de lourd. Pour l'instant, nous n'avons pas eu de pépin, mais nous le frôlons », estime la direction de l'établissement.
Si chaque hôpital arrive grosso modo à s'en sortir avec ses malades, il arrive que la machine d'urgence se grippe à plus grande échelle, posant un véritable casse-tête aux SAMU et aux pompiers. « La semaine dernière, dans la nuit de mardi à mercredi, cinq gros hôpitaux ont dit en même temps qu'ils n'avaient plus de place et qu'ils ne pouvaient plus recevoir les secours, raconte le Dr Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF) ; c'est dans ce genre de situation qu'il va y avoir un pépin. » Or « ce genre de situation », ces moments où les hôpitaux déclarent forfait tous ensemble, sont devenus presque monnaie courante. « La semaine dernière, c'est arrivé deux fois », reconnaît Dominique Brun-Ney.
Les secours, eux, temporisent. Pour le Dr Daniel Jannière, directeur médical adjoint du SAMU de Paris, « il y a un problème, les moyens ne sont pas suffisants, mais personne ne meurt et tout cela sera réglé dans six mois ». Le Dr Jannière ne voudrait pas que l'épiphénomène de l'Ouest parisien devienne l'arbre qui cache la forêt. « Le vrai problème, outre le désinvestissement de la médecine générale de sa mission de permanence des soins, c'est celui de la gestion des hôpitaux sur le mode du flux tendu. Dans ce système, on sait s'occuper des mourants, mais on ne sait pas où mettre le papy qui a un peu d'insuffisance cardiaque, un peu la bronchite. »
Déficit de lits d'aval
La question de l'insuffisance des lits d'aval, où l'on peut hospitaliser les malades une fois qu'ils ont été vus en urgence, se pose actuellement à Paris avec une acuité particulière. Là encore, l'hôpital Georges-Pompidou est en grande partie à l'origine du problème. Parce que l'opération de restructuration qui a présidé à son ouverture a fait disparaître un peu plus de 400 lits dans le quart sud-ouest de la capitale. Parce que, prévu pour accueillir 800 malades, l'HEGP n'en soigne pour l'instant que 250. Résultat : on ne sait plus où mettre les gens. « On a beau arriver à faire tourner le service plus vite pour prendre en charge plus de malades, dès lors qu'il n'y a pas de lits disponibles, la situation devient extrêmement compliquée », résume le Dr Brun-Ney. Le cercle est vicieux, le temps passé à essayer de « caser » un patient est autant de temps perdu pour en soigner un autre. Aux urgences de l'hôpital Saint-Antoine, le Dr Pelloux a ainsi dû contacter « 27 structures » avant de trouver un lit pour une fracture. A Saint-Joseph, on raconte qu'il n'est pas rare de « faire le tour de Paris pour finir par envoyer des malades à Fontainebleau ou à Rambouillet ». Au bout trois mois de ce régime, les urgentistes parisiens sont unanimes : l'ouverture des urgences de l'HEGP sera pour eux un immense « soulagement ».
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