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E N 1800, le continent australien, encore peu connu, attire les curiosités des scientifiques et les convoitises des gouvernants de l'Europe : les cultures et l'élevage entrepris par les colons anglais ainsi que la récolte de la graisse des phoques à trompe sont d'un bon rapport commercial. C'est pourquoi Bonaparte, Premier Consul, accepte la proposition du capitaine de vaisseau Nicolas Baudin (1750-1803), d'organiser une exploration géographique et scientifique dans ces contrées, lui octroyant de larges moyens pour sa préparation.
Le départ du « Géographe » et du « Naturaliste » a lieu en octobre 1800. L'état-major des deux navires comprend plusieurs officiers de grand avenir et une vingtaine de spécialistes soigneusement sélectionnés, plus trois artistes ; on engage en surnombre un élève en zoologie et en médecine, François Péron tandis que le capitaine Baudin fait appel à deux autres jeunes artistes pour illustrer son livre de bord personnel, Nicolas-Martin Petit, élève de David à Paris et Charles-Alexandre Lesueur, du Havre - qu'il fait figurer sur le rôle d'équipage comme aide-canonnier.
Ces trois invités supplémentaires vont jouer un rôle considérable dans l'aventure. Car les incidents vont se multiplier dès le départ, tenant aux hommes, non habitués à cohabiter dans des conditions difficiles et pas assez aguerris, tenant aussi aux conditions matérielles, les bateaux dépendant des vents et des courants, les cartes marines étant incomplètes ou inexistantes, les instruments de mesure encore bien imparfaits. L'insuffisance de nourriture et son manque de fraîcheur ainsi que le climat vont faire des ravages ; le scorbut, la dysenterie, les fièvres sont fatals à beaucoup et un certain nombre de matelots et de scientifiques désertent ou demandent leur débarquement pour raison de santé dès l'arrivée à l'Ile-de-France, l'actuelle île Maurice, en mars 1801. Ce fut la « chance » de MM. Péron, Petit et Lesueur, la malchance de Nicolas Baudin qui ne put terminer sa troisième campagne d'exploration du continent australien et qui mourut sur le chemin du retour en France, épuisé par la phtisie qui le rongeait depuis longtemps déjà.
Une moisson prodigieuse
Les scientifiques de l'époque - Cuvier, Jussieu, Laplace, Bougainville, Lacepède, Fleurieu... - ont souligné le caractère exceptionnel des découvertes effectuées par l'expédition Baudin, tant sur le plan de la quantité que de la nouveauté de l'approche.
Plus de 100 000 échantillons ont été récoltés, comprenant plus de 2 500 espèces nouvelles - alors que le meilleur voyage de Cook, le deuxième, n'en a pas fourni plus de 250. Ce qui est remarquable, c'est qu'à l'inverse des voyageurs zoologistes qui s'intéressaient à l'une ou l'autre partie du règne animal en négligeant le reste ceux-ci « ont embrassé toutes les classes avec un succès égal ».
Mieux encore, il ne s'agit pas uniquement de collectes, puisque chaque objet est décrit avec tous ses caractères physiques, avec son habitat, son environnement et, lorsque cela est possible, ses murs. Jacqueline Bonnemains, qui a établi le texte de la présente édition, souligne qu'il s'agit d'une grande nouveauté dans la façon de travailler du naturaliste et la base des futures études de zoogéographie, entre autres.
Les très nombreuses observations sur cette contrée et leurs habitants font apparaître deux groupes ethniques distincts peuplant de façon très éparse les côtes de la Nouvelle-Hollande (Australie) et la terre de Diémen (Tasmanie). Fort des recommandations de la Société des observateurs de l'homme qui lui avait remis avant son départ des « notices sur les diverses méthodes à suivre dans l'observation des peuples sauvages », Nicolas Baudin et les naturalistes de l'expédition ont ouvert la voie de l'anthropologie : ils ont étudié les hommes dans leur milieu naturel ainsi que leurs réalisations sociologiques, qu'il s'agisse du langage, des habitations, de l'art, des comportements individuel ou communautaire, etc.
Et, bien sûr, toutes ces descriptions majeures pour les naturalistes et les ethnologues, s'accompagnaient de cartes géographiques de presque toutes les côtes sud et ouest de l'Australie ainsi que de la Tasmanie ; l'hypothèse d'un éventuel bras de mer séparant l'Australie en deux, du nord au sud, était définitivement détruite.
Les 206 objets constituant les collections ethnographiques rapportées par l'expédition Baudin, qui avaient été offerts à Madame Bonaparte et déposés à la Malmaison, ont été détruits ou dispersés. Il reste heureusement les dessins, exécutés avec le plus grand soin par Charles-Alexandre Lesueur et Nicolas-Martin Petit ; dessins qui eux-mêmes avaient été dispersés au gré des publications officielles du récit de l'expédition commandées en 1806 par l'empereur à l'Imprimerie impériale et qui retrouvent aujourd'hui leur place dans le carnet de bord du commandant Baudin.
Un navigateur et explorateur méconnu, auquel cet ouvrage rend un bel hommage.
Editions Imprimerie nationale, 465 p., illustrations en couleurs, 420 F.
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