LES ETUDES de consommation, de soins ou d'autres biens montrent que l'âge est un facteur significatif de modification des comportements. En santé, on constate assez logiquement que, plus l'on vieillit, plus on estime que sa santé générale, c'est-à-dire à la fois physique, mentale et sociale, est dégradée. Certaines pathologies sont spécifiques de certaines tranches d'âge. Le baromètre santé 2002 du Cfes* rapporte que « les scores de dépression et d'anxiété sont maximaux chez les 18-25 ans et se réduisent avec l'avancée en âge ». Pour autant, de nombreuses études évoquent un facteur générationnel dans l'interprétation de leurs résultats. Par exemple, en 2002, l'Insee constate qu' « environ trois hommes sur cinq et une femme sur trois sont fumeurs ou l'ont été au cours de leur vie. Cette différence traduit un effet de génération, le tabagisme chez les anciennes générations étant davantage un comportement masculin ». De son côté, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies rapporte en 2001 que, « parmi les 60-75 ans, l'usage d'alcool renvoie plutôt à un effet génération : pour ces individus, l'alcool est un produit de consommation courante, souvent intégré à l'alimentation quotidienne ». Au contraire, l'usage de médicaments psychotropes est dû, selon le Cfes, à un « effet âge, dans le cadre de soins médicaux consécutifs à des problèmes de santé qui deviennent plus fréquents au-delà de 60 ans ». Tout en étant étroitement liées, les notions d'âge et de génération sont donc bien à distinguer.
Un rapport inégal au médicament.
La consommation de médicaments reflète également ces différences d'âge et de génération. Selon l'Insee, l'achat de médicaments en pharmacie sans avis médical « est moins fréquent chez les jeunes et surtout chez les plus âgés ». L'exemple des vitamines ou des minéraux « sous forme de médicament » montre une surconsommation des moins de 55 ans. En dehors de l'automédication, de nombreux chercheurs se sont intéressés à l'observance chez les personnes âgées, grandes consommatrices de soins. Là aussi, pas de conclusion hâtive : le comité régional d'éducation pour la santé Ile-de-France (Cresif) a réalisé une synthèse documentaire sur le sujet, dont les conclusion donnent des taux d'observance variant de 34 à 90 % suivant les études. De plus, les recueils de données sont réalisés le plus souvent sur le mode déclaratif. Or une étude systématique rapporte que, dans une population âgée de plus de 65 ans dont le taux d'observance déclarée est de 89 %, le décompte des produits « montrait que seulement 5 % des patients avaient effectivement pris les bons produits aux bonnes doses ! ». En réalité, il est très difficile d'avoir des chiffres cohérents, d'autant que de nombreux paramètres entrent en ligne de compte, parmi lesquels les plus directement déterminants semblent être : la dextérité (manipulation des contenants), l'acuité visuelle et auditive (compréhension des instructions), la capacité de mémorisation et d'apprentissage, la perception de l'individu (attitude négative = mauvaise observance), la perception de la gravité de la maladie, sa chronicité (traitement long cours = baisse de l'observance), la présence de symptômes (maladie asymptomatique = mauvaise observance), l'information sur le médicament (plus elle est réelle, claire, adaptée, meilleure est l'observance), le nombre de médicaments (plus il augmente, moins l'observance est bonne) et l'influence des professionnels de santé. Ainsi, estiment les chercheurs, l'âge n'aurait qu'une influence indirecte sur l'observance, bien qu'il soit difficile de déterminer ce qui relève des difficultés spécifiques de l'âge (et entraînerait une inobservance involontaire) des facteurs d'inobservance volontaire.
A double tranchant.
Au plan macroéconomique, l'étude de la consommation de soins par âge a essentiellement pour objectif de pouvoir anticiper les dépenses de santé. Mais là aussi, on ne peut que constater la multiplicité des facteurs qui entraînent des tendances opposées. On sait que les dépenses de santé augmentent avec l'âge. Cependant, une étude du Credes** menée par Michel Grignon montre qu'à état de santé donné les plus âgés dépensent moins, là aussi par un « effet de génération » - que l'on peut expliquer notamment par le fait que les plus anciens n'ont pas toujours eu un accès aux soins aussi facile que les plus jeunes. Il en déduit qu'on surestime l'effet mécanique du vieillissement sur l'augmentation des dépenses, puisque, avec le temps, on sera en meilleure santé au même âge - et qu'en plus on dépensera moins. Une autre chercheuse du Credes, Catherine Sermet, montre que cet effet, « important dans les années 1960 et 1970 », tend à disparaître. De fait, à âge égal cette fois, les générations nouvelles dépensent bien plus que les précédentes. « L'accroissement de la consommation médicale des générations nouvelles relativement aux précédentes est visible : il est même important une fois passé la cinquantaine et massif à des âges plus élevés », estime la Fédération française des assurances (Ffsa) en juillet 2005. Selon les assureurs, les points de conjoncture publiés successivement par la Cnamts montrent que les patients en ALD (affection de longue durée) sont « de "gros consommateurs" dont l'augmentation des dépenses n'est pas proportionnelle mais supérieure à celle de leur nombre ». Une analyse que semblent partager les rédacteurs du Plfss 2006 (projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale), dont l'annexe 7 (Ondam et dépense nationale de santé) précise que « les quinquagénaires d'aujourd'hui consomment significativement plus de soins que leurs aînés au même âge, et l'écart est encore plus important pour les plus de 60 ans. En outre, on ne distingue aujourd'hui encore nulle trace évidente de fléchissement dans ces évolutions. » Si l'effet génération permet aujourd'hui de corriger la surconsommation de soins des plus âgés, ce même effet risque d'entraîner à terme des consommations encore plus importantes - à moins que les campagnes de prévention ne viennent mettre un bémol à cette tendance en modifiant les comportements dans le sens d'une plus grande responsabilité.
* Comité français d'éducation pour la santé, remplacé par l'Inpes.
** Centre de recherche, d'étude et de documentation en économie de la santé, devenu Irdes.
Un discours à adapter
On ne s'adresse pas de la même façon à un adolescent de 15 ans qu'à une femme octogénaire. L'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) a formalisé cette constatation dans un document publié en mars 2005, selon lequel « les adolescents consultent assez peu et ont un rapport à la santé et aux professionnels de santé particulier ». Selon l'Inpes, ces jeunes gens ne se sentent concernés par le discours médical que s'il leur permet d' « aborder des problèmes existentiels généraux » ou au contraire d'avoir des « informations très adaptées à leur situation personnelle ». Inversement, les personnes âgées « sont concernées par leurs problèmes de santé et consultent souvent. Néanmoins, elles semblent très rétives au changement de leur habitude de consultation et s'habituent mal à une modification de posture du professionnel allant d'une relation directive vers une guidance. »
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