« Trois huit », de Philippe Le Guay

Tyrannie ordinaire

Publié le 20/03/2001
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CINEMA

PAR RENEE CARTON

A VEC les livres de la psychiatre Marie-France Hirigoyen (« le Harcèlement moral » et, aujourd'hui, « Malaise dans le travail », chez Syros), la France redécouvre une réalité vieille comme le travail : des chefs ou même de simples collègues peuvent harceler, brimer, tourmenter, tyranniser, humilier, martyriser, pousser à bout quelqu'un sans que la victime puisse faire grand chose. C'est à ce sujet que s'attaque Philippe Le Guay pour son troisième film après « les Deux Fragonard » et « l'Année Juliette ». Il s'est inspiré notamment des mésaventures d'un ouvrier soumis à un bizutage permanent, dans une usine d'emballage. « Le plus poignant, commente Le Gay, est que cet homme n'avait pas de rancœur. Il trouvait des excuses à ses tortionnaires ».

Le héros de « Trois huit » est au départ un ouvrier heureux. Certes, il travaille de nuit dans cette usine de fabrication de bouteilles, pleine d'étincelles et de bruits ; mais c'est ce qu'il a choisi, pour pouvoir travailler à sa maison en construction et s'occuper davantage de son fils et de son épouse, dont il est très fier. Mais il arrive dans une nouvelle équipe et celle-ci va lui faire subir un bizutage prolongé à cause d'un fort en gueule qui fait de lui sa tête de Turc.
Le réalisateur a eu l'intelligence de ne pas opposer la victime et le bourreau et de ne pas surdramatiser la relation de ses deux personnages. Il n'y a pas le gentil et le méchant mais deux hommes, l'un plus équilibré, l'autre plus paumé, capables l'un et l'autre de bonnes ou de mauvaises réactions. On n'ira donc pas inexorablement vers la tragédie, comme on aurait pu le craindre, même quand l'enfant s'en mêle. Gérald Laroche et Marc Barbé donnent ce qu'il faut d'épaisseur et d'ambiguïté, d'émotion et de violence à ces deux hommes et les personnages secondaires ne sont pas moins convaincants.
Il y a parfois un peu de lourdeur dans certaines scènes mais vite oubliées grâce à la vérité humaine de cette confrontation, qui dépasse largement le seul sujet du harcèlement.

CARTON Rene

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6881