LES CANCERS environnementaux sont la deuxième cause de mortalité en France. Le milieu du travail est un modèle pour les études sur les cancérogènes (2). Il compte plus de 50 % de cancérogènes appartenant au groupe 1 et plus de deux tiers au groupe 2A. Toutefois, le cancer professionnel n'est pas une découverte récente, puisque les premières observations remontent à 1776 avec le cancer du scrotum des ramoneurs londoniens. Aujourd'hui, on parle de travailleurs « sentinelles », sous les feux des épidémiologistes. Comme le rappelait le Pr Marcel Goldberg (Inserm), l'enquête Sumer 2002-2003 menée par 1 800 médecins du travail estime que 2,3 millions de salariés (soit 13,5 %) sont exposés à des cancérogènes en milieu de travail.
L'ubiquité des produits chimiques (très impliqués par rapport aux agents physiques) et la multiplicité des expositions (professionnelles et non professionnelles), la latence de survenue des cancers (vingt à quarante ans après l'exposition) sont autant de difficultés pour interpréter les enquêtes épidémiologiques. On peut toutefois prédire un pic de décès par cancer bronchopulmonaire induit par l'amiante entre 2020 et 2030.
Des maladies professionnelles sous-déclarées.
Il est d'autres types de cancer pour lesquels la partie émergée de l'iceberg n'est pas aussi visible. Ainsi, le cancer de la vessie : sept cas seulement ont été indemnisés au titre de maladie professionnelle sur plus de mille déclarés au régime général de la Sécurité Sociale en 1999. C'est ce qui a motivé une étude de l'Urcam de Haute-Normandie, qui montre qu'en fait l'origine professionnelle des cancers de la vessie atteint 15 % dans la région. Elle devrait donc être recherchée systématiquement à chaque diagnostic. Rappelons ici qu'il est du rôle du médecin praticien de rédiger un certificat médical (imprimés Cerfa de la Cpam) pour déclarer la maladie professionnelle dès qu'il en a la connaissance. C'est lorsque que l'on aura mis en œuvre les modes adéquats de recherche des cancers professionnels que l'on pourra convaincre les industriels de la réalité du problème, souligne Yvon Creau (laboratoire de la Cram de Haute-Normandie). Le médecin du travail, parce qu'il est un des interlocuteurs privilégiés des employeurs, s'emploie depuis toujours, et au-delà de la réglementation, à se faire le relais pour conseiller les chefs d'entreprise.
Développer les études.
En attendant, ce sont les méthodes épidémiologiques qu'il convient de privilégier. La recherche se heurte aux limites de l'expérimentation animale (faux positifs ou négatifs, variabilité interespèces, problèmes de doses et de voies d'exposition, facteurs génétiques...). Parallèlement, les nouveaux cancérogènes ne sont pas si faciles à mettre en évidence. C'est le revers d'une meilleure protection au travail, avec des niveaux d'exposition plus faibles. D'où l'intérêt de certaines évaluations rétrospectives emplois/expositions ou des études de populations plus sensibles. Parmi celles-ci, la catégorie socioprofessionnelle des ouvriers est reconnue aujourd'hui comme l'une des plus vulnérables.
En effet, les cancers professionnels contribuent beaucoup aux inégalités sociales de santé. Au-delà des différences de mode de vie (alcool, tabac, alimentation) ou d'accès aux soins, il est probablement des facteurs qui contribuent à augmenter les risques d'exposition professionnels, souligne le Pr Yves Dupont (Lasar, Caen). La précarisation de l'emploi, la mobilité, qui rendent difficile le suivi médical, le repli sur soi dans un système économique et technique qui tend à rompre les liens sociaux sont autant de facteurs qui devraient être recherchés dans les études.
Le cancer professionnel, comme l'ensemble des cancers environnementaux, c'est aussi l'affaire des Etats.
Depuis 1999, 43 pays, dont la France se sont engagés à mettre en œuvre une action renvoyant à la charte européenne qui stipule que « chaque individu a droit à un environnement compatible avec un niveau de santé et de bien-être le plus élevé possible, à l'information sur l'état de l'environnement, et sur les programmes, décisions et activités susceptibles d'agir sur l'environnement et sur la santé et à participer au processus de prise de décision ».
Parmi les huit thèmes dégagés en 2003 par la commission d'orientation que copréside le Pr Jean-François Caillard (CHU de Rouen), figure la prévention des cancers d'origine environnementale. En juin 2004, la commission a publié le Pnse (Plan national santé/environnement), consultable sur le site de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (3), qui s'inscrit sur une durée de quatre ans et dont fait partie la prévention des pathologies d'origine environnementale et, bien sûr, les cancers.
Protéger 15 millions de salariés.
Dans la continuité du plan de Cohésion sociale, un plan Santé au travail a été présenté aux partenaires sociaux le 17 février dernier et reprend un certain nombre d'objectifs du Pnse applicables à l'environnement professionnel. Le gouvernement se donne jusqu'en 2009 pour optimiser le dispositif de prévention, en mettant l'accent sur le développement des connaissances et sur une nouvelle dynamique organisationnelle. Concrètement, il s'agira, par exemple, d'encourager et mieux coordonner la prévention dans les entreprises par des contrats d'objectifs avec les services de santé au travail. Rappelons dans ce contexte que la réforme de la médecine du travail (décret du 28 juillet 2004) a voulu aussi un renforcement de l'action technique du médecin du travail sur le terrain, entouré d'une équipe pluridisciplinaire de préventeurs de la santé et de la sécurité des travailleurs. Rendez-vous dans cinq ans pour évaluer l'efficacité de ce bel édifice sur lequel tout le monde est invité à poser sa pierre.
(1) L'Urml (union régionale des médecins libéraux) de Haute-Normandie représente les 2 679 praticiens libéraux des départements de l'Eure et de la Seine-Maritime. Actuellement présidée par le Dr Jean-Luc Martinez, elle s'est dotée d'une commission Santé/Environnement en 2000.
(2) Classification des cancérogènes du Circ (Centre international de recherche sur le cancer) : groupe 1, les substances et procédés cancérogènes certains pour l'homme ; groupe 2A, les agents probablement cancérogènes pour l'homme, et 2B, les agents possiblement cancérogènes pour l'homme ; groupe 3, les substances et procédés non classés faute de données ; groupe 4, les agents probablement non cancérogènes pour l'homme.
(3) afsse.fr .
Quelques chiffres
- Un demi-million d'entreprises, dont 85 % de TPE (moins de 10 salariés), qui regroupent la majorité des salariés (64 %) ;
- 15 millions de salariés ;
- 7 000 médecins du travail dans 350 services de santé au travail interentreprises et 750 services d'entreprises.
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