Sida, l’art comme instrument de résistance

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Publié le 05/07/2022
Une génération d’artistes a été foudroyée par le sida qui a eu le temps, le sursaut de produire des œuvres surtout aux Etats-Unis. Pour la première fois, un mouvement artistique émergeait à la suite de l’arrivée d’un nouveau virus…

Le sida au musée ! le titre de l’exposition (15 décembre 2021-2 mai 2022) qui vient de récemment fermer ses portes au Mucem (Marseille) prend soin de rappeler que « l’épidémie n’est pas finie ». Dont acte. Mais ce rappel en fait n’était peut-être pas nécessaire. Dès le début ou presque de la dernière pandémie du XXIe siècle, les plasticiens face à la catastrophe ont produit des œuvres, exprimé leur émotion en direct, sans en attendre l’achèvement. Un médecin américain, Carl Tandatnick s’est même imposé comme artiste sur la scène internationale. Le 1er décembre 1994, Sony lui propose de diffuser sur son billboard géant de Times Square la macrophotographie qui saisit le moment où le VIH infecte un lymphocyte T avec cette légende : « Voilà le virus du sida. Aujourd’hui… c’est le jour sans art. Quand viendra… le jour sans sida ? » C’est là encore une épidémie sans fin. Thibault Boulvain le rapporte dans son livre référence (1) : « L’image du VIH […] est ainsi entrée dans l’œil de l’époque, qui l’a reçue, paniquée et fascinée. » Les images scientifiques triomphent en traquant l’invisible à l’œil nu alors que la médecine est encore impuissante. Elle se limite alors au care, comme le rapporte Christophe Bourdin dans son livre Le Fil où le médecin « devant son impuissance à soulager mes souffrances et physique et morale, a fini par apposer, s’oubliant un moment, comme un magnétiseur ou un amant, sur les points douloureux de mon corps […] un temps qui m’a paru inhabituellement long et qui faisait de son geste plus qu’un geste médical mais bien une caresse, un vrai soin amoureux, par application, comme un pansement, la paume de ses deux mains réparatrices. » Le médecin retrouvait là des gestes immémoriaux comme une échappée à l’aventure pastorienne et une réminiscence à la tragédie de la peste. Les artistes ont d’ailleurs intégré d’emblée cet imaginaire lié à ce fléau immémorial qui aurait été au cœur de l’invention de la renaissance. Avant l’arrivée des trithérapies plane un air de fin du monde, de désastre repris à son compte par Stephen J.Gould qui, tout en rappelant la terrifiante normalité d’une épidémie comme le sida, confirmait l’énormité de la catastrophe dans le New York Times en 1997. Les artistes, victimes du virus, ont abandonné toute idée de passivité face à la maladie. Et ont multiplié les interventions publiques, les provocations avec l’idée de générer une communauté. Expositions collectives, photos dans la presse, déploiements de panneaux confectionnés par des proches de morts du sida en leur mémoire, un mouvement artistique émerge à partir du refus d’une maladie tout en vivant en sursis permanent. Et invente des nouveaux moyens d’expression. « Qui sont les morts ? », s’interroge de manière faussement naïve un artiste américain Éric Rhein qui y répond en fabriquant des portraits en fil de fer de tous ces artistes morts du sida entre autres, Keith Haring, Robert Mapplethorpe, Felix Gonzales-Torres. En retard sur les États-Unis, une faille s’ouvre en France.

Le sida devient politique

Que reste-t-il du souvenir du sida dans l’Hexagone ? Récemment, le succès cinématographique de 120 battements par minute de Robin Campillo, au théâtre le vibrant hommage de Christophe Honoré aux morts artistes du sida dans les Idoles témoignent d’une volonté de revisiter ces années terribles au-delà des festivals de musique annuels dans les hippodromes. Pour la première fois, une maladie transformait les rapports, les regards sur des communautés sexuelles. Elle ne concernait plus seulement les patients et leurs soignants mais s’inscrivait aussi à l’agenda politique. Artistes et écrivains ont alors témoigné. On les a écoutés distraitement lorsque l’on n’était pas concerné. Ce n’était pourtant qu’un début…

(1) L’art en Sida, 1981-1997. Thibault Boulvain, éditions Les presses du réel, 2021 840 pages, 2021, 38 euros.


Source : Décision Santé