C'est un résultat qui va secouer bien des habitudes dans les unités de réanimation : l'alimentation artificielle par voie parentérale n'est pas inférieure à celle par voie entérale. Au contraire même, les résultats de l'étude française NUTRIREA-2, publiés dans « The Lancet », menée dans 44 unités de réanimation, indiquent que l'utilisation de la voie entérale est associée à un surrisque de vomissement et d'ischémie intestinale.
À l’origine, les auteurs envisageaient de recruter 2 850 patients, mais dès la seconde analyse intermédiaire, le comité indépendant de sécurité de l'essai a pris la décision d'arrêter celui-ci pour cause de futilité, après seulement 2 410 patients inclus. Au bout de 28 jours, les taux de décès étaient de respectivement 37 % et 35 % dans les groupes sous nutrition entérale et parentérale.
Les patients recrutés dans cette étude étaient tous dans un état grave, sous respiration artificielle, en état de choc, avec un traitement de suppléance pour soutenir leur activité circulatoire. « Ils avaient tous un cathéter et une sonde gastrique, précise au « Quotidien » le Pr Jean Reignier, chef du service médecine intensive et réanimation du CHU de Nantes et premier auteur de l'étude. On pouvait donc théoriquement tous les nourrir par une voie ou l'autre. » Pour l'ensemble de ces patients, la cible nutritionnelle se situait entre 20 et 25 kcal par kg et par jour.
Il n'y avait pas de différence significative en termes de risque d'infection (14 % dans le groupe alimentation entérale contre 16 % en parentérale). En revanche, le risque de vomissements était significativement plus élevé chez les patients sous nutrition entérale (34 % contre 20 % dans le groupe sous nutrition parentérale), de même que le risque de diarrhée (36 contre 33 %), de pseudo-obstruction du côlon (11 % contre moins de 1 %) et surtout d'ischémie intestinale (19 % contre moins de 1 %). Ces ischémies constituent « une grave préoccupation » chez ces patients, souligne le Pr Reignier.
Les données anglaises confirmées
Ces données vont de pair avec celles de l'étude CALORIES publiées en 2014 dans le « New England Journal of Medicine », et prennent à rebrousse-poil toutes les recommandations françaises, européennes et américaines qui préconisent la voie de nutrition parentérale.
« Les Anglais avaient monté l'étude CALORIES car ils étaient les seuls à privilégier la voie parentérale, et souhaitaient vérifier que leurs pratiques n'étaient pas délétères », se souvient le Pr Reignier. L'étude CALORIES avait recruté des patients « tout venant », dans un état globalement moins sévère que dans l'étude NUTRIREA, et avait conclu à une non-infériorité de la voie parentérale en ce qui concerne le risque de décès mais une supériorité en termes de risques d'hypoglycémie et de vomissements.
« La préférence accordée à la voie entérale dans les recommandations ne repose que sur des études rétrospectives et observationnelles, voire sur des travaux chez l'animal, poursuit le Pr Reigner. Il y a pourtant une croyance profonde chez nos confrères dans la supériorité de la voie entérale. Certains ont même trouvé non éthique de nourrir des patients par voie parentérale dans le cadre d'un essai randomisé. Je crois que nos résultats vont changer les pratiques à venir », conclut-il.
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