L ES comptes-rendus des débats du procès Elf-Dumas n'amélioreront ni l'image de la classe politique, ni celle du monde des affaires, ni celle des rapports qu'elle et lui entretiennent.
Ce n'est pas d'ailleurs que l'ancien ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas, apparaisse dans ce procès comme un homme particulièrement maléfique. Ce maître de la négociation discrète aurait été pris à son propre jeu. Alfred Sirven, ancien numéro deux de Elf, actuellement en fuite et introuvable aux Philippines, où il s'est fondu dans un pays à forte densité humaine, aurait placé Christine Devier-Joncour sur le chemin du ministre, lequel aurait succombé aux charmes de la dame. C'est l'histoire du manipulateur manipulé.
Nombre des faits incriminés relèvent certainement du pénal. Mais l'absence de Sirven a tronqué le procès. Loïk Le Floch-Prigent, ex-P-DG de Elf, qui a déjà passé beaucoup de temps en prison, aurait été « trahi », lui aussi, par son second, auquel il ne doit rien, sinon beaucoup de mésaventures, puiqu'il a été nommé à son poste par François Mitterrand.
Ce que le procès montre en revanche, c'est ce qui se passe quand une énorme entreprises qui brasse des centaines de milliards, attribue une partie de l'argent dont elle dispose et dont elle doit pourtant, à tout moment, justifier l'usage, à des projets opaques, immoraux ou illégaux. Le pouvoir politique corrompt, mais la conjonction du pouvoir et de l'argent est extrêmement vénéneuse. On voit, dans cette affaire, des hommes et des femmes saisis par le vertige et lançant secrètement des opérations où s'ajoutent plusieurs ingrédients empoisonnés : l'utilisation de l'argent à des fins pour lesquelles il n'est pas prévu, la généralisation des pots-de-vin, la conclusion d'accords occultes facilités par des largesses : tout un petit monde se croit au-dessus des lois et oublie les règles les plus élémentaires de la morale et de l'honnêteté.
Que de surcroît M. Dumas, qui n'était pas un novice quand il a rencontré Mme Devier-Joncour, se soit épris d'elle, ou plutôt de ce qu'elle fût plus jeune que lui, et ait accepté d'elle des cadeaux somptueux, montre qu'il trouvait normal d'avoir deux vies, l'une publique et faite d'apparences dignes, l'autre privée et composée de multiples plaisirs, une compagne, de l'argent, le luxe, toutes ces gratifications empoisonnées dont un peu d'ascèse lui eût évité les très pénibles conséquences.
On en aurait presque de la pitié pour lui car il n'a pas commis de crime ; mais il n'a pas craint, comme d'autres, de placer ses fonctions au service de son bonheur personnel.
De la même manière, on éprouverait presque de la commisération pour Mme Devier-Joncour dont la défense désordonnée résulte probablement de son inculture : elle n'a pas le niveau requis pour aligner les arguments propres à convaincre ses juges. La voilà donc qui élève la voix, narre des histoires embrouilllées, revendique le labeur ardu ( « Mais, oui, je travaillais ! ») qui lui a valu un salaire de P-DG chez Elf, et s'effondre en larmes, passant de la pure provocation (elle est quand même l'auteur de « la Putain de la République ») à un chagrin pathétique. Papillon qui s'est brûlé les ailes aux feux étincelants du pouvoir et de l'industrie ? Alfred Sirven a manipulé tout le monde, depuis Christine Devier-Joncour, dont la célébrité ultérieure n'aura jamais été que le corollaire de sa condition, femme prête à tirer parti de sa seule féminité en l'absence d'un autre talent, et dont la presse, conformément au cynisme de notre époque, a fait une star, jusqu'à Roland Dumas, vizir à l'image du calife, c'est-à-dire au moins aussi florentin, pour ne pas dire machiavélique, que lui, et qui a trouvé son maître et son malheur en Sirven le trop généreux.
Quant toute l'affaire et les vies blessées qu'elle charrie se déversent dans l'enceinte d'un tribunal, le public médusé, celui qui prend le métro pour se rendre à son travail, celui qui gagne moins en un mois que le prix des chaussures de M. Dumas, découvre en un clin d'il le raccourci qui conduit de la gloire à la déchéance. La leçon est claire : une responsabilité, qu'elle soit politique ou financière, est un fardeau qu'il faut porter avec courage et détermination, sans jamais en attendre de récompense particulière. Mieux : la récompense tendrait à démontrer que la responsabilité n'a pas été assumée.
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