SA DÉMARCHE est malaisée tant son corps l’embarrasse dans le moindre de ses déplacements, les jambes droites comme un soldat exécutant des pas de l’oie. Thomas (le prénom a été modifié) n’a fait que se lever pour changer de place à quelques mètres de là, rien que de très banal. Pour un traumatisé crânien, c’est le bout du monde. Ils sont 100 000 cérébro-lésés en France à subir, à la suite d’un accident de la voie publique, du travail, etc., des atteintes physiques contraignantes quand elles ne les condamnent pas à l’état végétatif. Sans compter les troubles comportementaux, moins faciles à repérer. Il y a vingt ans, une poignée d’hommes et de femmes créaient le noyau dur de l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens (Unaftc). Mais, après deux décennies de combats et de victoires, la partie n’est pas encore gagnée. «Il y dix ans, il n’y avait strictement rien, se rappelle, émue, Josette Vesser, présidente de l’Aftc Midi-Pyrénées. Depuis, on a des réponses aux questions des familles. Imparfaites, mais des réponses tout de même…» La situation reste préoccupante, tant l’information est mauvaise, une fois les traumatisés crâniens sortis du centre de rééducation fonctionnelle. «Les professionnels de santé les laissent sortir sans rien leur dire sur leurs droits. Ils ne savent même pas qu’il existe une prestation de compensation avant indemnisation. On voit les gens arriver à l’association, affolés, avec un jeune qui fugue, leur tape dessus ou les insulte», poursuit-elle, en dépeignant les signes de troubles neuropsychiques.
Loin du discours lénifiant, les journées du 20e anniversaire de l’Unaftc ont été un vrai moment de revendications. Sur la liste des priorités : établir la spécificité des établissements accueillant les traumatisés crâniens, loin des hôpitaux psychiatriques où «on les drogue, les attache avant de les oublier dans un coin». «A la grande époque des Pmsi», les établissements ne pouvaient pas les garder et les orientaient vers les institutions psychiatriques ou les renvoyaient à la case départ, dans leurs famille.
En se développant en parallèle du circuit médical, l’associatif a tenté de répondre à ce dysfonctionnement «sans changer l’hôpital de l’intérieur». Le problème de l’accueil est encore patent, mais «on ne peut pas demander aux acteurs de santé de tout faire», rétorque Philippe Denormandie, responsable de la mission handicap à l’AP-HP. La solution ? «Avoir une logique de partenariat avec l’associatif qui, lui, sait le faire.» Les structures hospitalières de jour déjà en place – MAS, FAM, centres d’activités de jour – pourraient aussi être complétées par des groupes d’entraide mutuelle pour poursuivre l’insertion des traumatisés crâniens. La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des handicapés le prévoit comme élément de compensation. Mais, pour l’instant, rien à l’horizon.
L’indemnisation, un parcours du combattant.
C’est d’ailleurs sur le point des réparations que le bât blesse. Encore aujourd’hui, «les familles souffrent de l’errance dans les maquis administratifs», souligne le Dr Jeanine Hoffmann. Et la création des Maisons départementales du handicap n’a pas simplifié les choses. «Il faudrait qu’une permanence avec des conseillers juridiques spécialisés en trauma crânien y soit tenue tous les jours pour répondre aux soucis des parents et les orienter. L’indemnisation doit financer la vie, c’est fondamental quand on sort du milieu sanitaire», insiste J. Hoffmann.
Si la loi de juillet 1985 à l’origine de l’indemnisation n’a jamais été déformée en vingt ans de jurisprudence, l’imprévisibilité des séquelles empêche une appréciation légale plus ferme. «Notre voeu, lance Elisabeth Vieux, magistrate à la cour d’appel d’Aix-en-Provence, c’est que les indemnisations soient conduites par un “case manager”, un observateur impartial, mais ce n’est pas à l’ordre du jour.»
Seule l’idée que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (Cnsa) prélève un pourcentage des amendes pour infraction au code de la route et le reverse aux Maisons départementales du handicap pour financer un service aux victimes fait son bonhomme de chemin. Pas franchement enthousiaste, Jean-François Bauduret (directeur adjoint de la Cnsa) attend de «voir sa formalisation pour relayer ce projet». Mais, comme Nicole Guedj, ancienne secrétaire d’Etat aux Droits des victimes, prévenait : «Le temps du politique n’est pas le temps des combats menés par l’Unaftc.»
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