U NE comparaison entre les parcours d'Augusto Pinochet et de Maurice Papon est nécessairement audacieuse : le premier a dirigé son pays quand le second n'avait que d'obscures fonctions à Bordeaux sous l'Occupation. Alors que l'un décidait de la vie et de la mort de ses compatriotes, l'autre n'était que l'instrument de la machine nazie à broyer l'humanité.
Mais Pinochet et Papon sont également âgés et malades. Tous deux se servent de leur grand âge pour exiger qu'on les laisse en paix. Tous deux ont la mémoire qui flanche à propos des faits qui leur sont reprochés. Tous deux ont la conscience tranquille. Tous deux sont mêlés à des crimes politiques insupportables.
Les Chiliens qui, à Londres, manifestaient leur indignation après que le gouvernement britannique eut jugé logique de renvoyer Pinochet dans son pays, devraient aujourd'hui exulter : c'est le Chili d'aujourd'hui, et non une Cour internationale, qui demande des comptes à l'ancien dictateur. Augusto Pinochet s'est pratiquement servi de tous les moyens dilatoires qui étaient à sa disposition, à commencer par ceux que lui a généreusement offerts la démocratie britannique. A laquelle, en guise de remerciements, il a fait un pied de nez le jour où il a débarqué à l'aéroport de Santiago, debout, frais, serein, et disponible pour toutes les accolades. Il en a serré sur son cur, des tuniques militaires couvertes de médailles ! Mais de même qu'un juge espagnol n'a pas craint de lancer contre lui des poursuites juridiquement compliquées, de même la justice chilienne a réussi à triompher de tous les barrages dressés par les amis de Pinochet, par la droite extrême et nostalgique, par une partie de l'opinion, assez nationaliste pour récuser les justices britannique et espagnole, par ses complices de l'armée chilienne, qui n'a jamais remporté de bataille que contre son propre peuple.
Pinochet a donc commencé son purgatoire : comme n'importe quel brigand, il a été arrêté et interrogé. Bien sûr, il peut encore échapper, en se fondant sur son âge et sur son état de santé, à la condamnation. Mais au moins aura-t-il connu une partie des humiliations, sinon les souffrances, qu'il a infligées à des milliers de Chiliens. Ce qui nous ramène encore à la comparaison avec Papon : la faute à qui si la démocratie chilienne est trop récente pour que Pinochet ait pu être arrêté plus tôt ? La faute à qui si le général impitoyable, sanglé dans un uniforme étincelant, s'est transformé en vieillard qui ne se souvient plus du mal qu'il a fait ? L'âge n'est pas plus une excuse pour Pinochet, qui croyait avoir pris, avant de céder le pouvoir, des dispositions qui le rendaient invulnérable, que pour Papon, qui a bénéficié pendant vingt ans des indulgentes lenteurs de la justice française.
Ce qui demeure irritant, chez l'un et chez l'autre, c'est le refus de reconnaître les ignominies qu'ils ont commises. Papon « ne pouvait faire autrement » que respecter les ordres de l'ordre établi de l'époque. Pinochet n'a jamais ordonné la mort de qui que ce soit, il a été débordé par ses subalternes. Ce n'est pas moi, c'est l'autre. Tous innocents, tous exaspérés par le procès qu'on leur fait, tous des anges. Mais les mânes de leurs victimes crient vengeance encore aujourd'hui. Oui, vengeance. Les plus acharnés dans la recherche de la justice n'osent pas prononcer le mot, vont même jusqu'à jurer que ce n'est pas le sentiment qui les guide. Mais comment être sûr qu'un régime sanguinaire est révolu sinon en pourchassant ceux qui l'ont servi ?
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