Le festival de Cannes

Paraboles et fables

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Publié le 22/05/2017
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Cannes-Okja

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Crédit photo : NETFLIX

Arnaud Desplechin est un cinéaste intéressant (on oserait même le qualificatif, quasi insultant aujourd'hui, d'intellectuel). Choisir de placer son film en ouverture (hors compétition) en lieu et place d'un blockbuster américain avait du sens – surtout avec en vedette Marion Cotillard et Charlotte Gainsbourg. Sauf que « les Fantômes d'Ismaël », malgré de beaux moments, des scènes fulgurantes et un jeu d'acteurs au meilleur, manque de cohérence, voire de sens, à moins que l'on ne saisisse toutes les références et clins d'œil à un passé pas dépassé. Le film est déjà dans les salles et connaît un joli succès. Tant mieux pour Desplechin.

Première œuvre présentée en compétition, « Wonderstruck » est, aux dires de son réalisateur Todd Haynes (« Carol »), un « acid trip for kids ». Le scénario est de l'auteur du roman (publié en édition jeunesse), Brian Selznick, à qui l'on doit « l'Invention de Hugo Cabret », adapté par Martin Scorsese. Le film est plein d'idées, de rebondissements, de cauchemars et de rêves. Soit deux enfants sourds, l'un dans les années 1970, l'autre en 1927, partis en quête de racines et d'amour à New York. Todd Haynes reconstitue avec style les deux époques, mêle sons, musique et silence pour mieux exprimer l'univers mental et émotionnel des enfants, joue avec le noir et blanc, les figurines animées, les décors étonnants. Et nous laisse sous le charme (sortie probablement à l'automne).

« Faute d'amour », du Russe Andrei Zvyagintsev (« Leviathan »), n’est rien moins que charmant et pourtant irrésistible. Au centre un enfant, mais à l'image, le plus souvent, ses parents qui se déchirent et ne veulent ni l'un ni l'autre en avoir la garde. Le portrait d'une société russe égoïste et superficielle, avec en arrière-plan les orthodoxes qui voudraient la régenter et la guerre pas loin, en Ukraine. Un film sombre, glaçant, qui mériterait une place au palmarès (sortie le 20 septembre).

L'Europe des migrants

Troisième film en compétition, « la Lune de Jupiter », du Hongrois Kornél Mundruczó (« White Dog »). Ce n'est pas de la science-fiction, la lune de Jupiter c'est Europe, notre Europe, avec ces migrants qu'elle refuse, parque dans des camps, utilise dans des trafics, tue parfois. Le médecin qui ne se remet pas d'avoir fait une erreur mortelle (il avait bu) n'a rien contre les aider, mais en secourant un jeune Syrien touché par balles il va se trouver au centre d'une extraordinaire aventure dont on se voudrait de dévoiler le ressort. Les deux-tiers du film sont saisissants, dans le récit et dans la mise en scène. Puis cela se gâte. Mundruczó ne sait pas trop comment conclure sa parabole et étire sa fin avec des poursuites déjà vues un million de fois et des rebondissements inutiles. À voir en tout cas, à partir du 1er novembre.

On voudrait recommander à tous « Okja », mais seuls les abonnés à Netflix devraient pouvoir le voir, à partir du 28 juin. Malgré la polémique sur la distribution du film hors des salles, le festival aurait eu tort de se priver de cette histoire imaginée et réalisée par le Coréen Bong Joon Ho, dont on avait déjà pu admirer le talent avec « The Host » et « le Transperceneige ». Il s'agit là aussi d'une fable, sur l'affreux capitalisme et ceux qui exploitent les animaux et nous nourrissent de produits chimiques et génétiquement modifiés. De l'Amérique à la Corée, l'affaire est menée à grand train et gros traits, avec d'un côté les méchants, ridiculisés, et de l'autre une gentille petite fille et son énorme cochon (Okja, c'est lui), et quelques sympathiques militants de la cause animale. Ce n'est pas du très grand cinéma, mais c'est sûr, on ne s'ennuie pas.

On a vu aussi à Un certain regard le « Barbara » de Mathieu Amalric. Jeanne Balibar joue une actrice qui joue Barbara pour un cinéaste incarné par Amalric. Une mise en abîme qui donne au réalisateur et à la comédienne une liberté, par rapport à la stricte biographie, dont ils font largement usage. Une émouvante évocation (sortie le 6 septembre).

 

 

Renée Carton

Source : Le Quotidien du médecin: 9583