1. Ostéopathies métaboliques
La prévalence moyenne de l’ostéopénie (réduction de la masse osseuse quelle qu’en soit la cause) au cours des Mici, est globalement de 45 % ; celle de la seule ostéoporose (raréfaction prononcée de cette masse avec détérioration de la microarchitecture osseuse) est de 15 %. Le risque d’ostéoporose, jugé parfois plus élevé dans la MC que dans RCH, chez la femme et lorsque la Mici est en poussée, ne semble en fait dépendre ni du sexe, ni du type, ni de l’ancienneté, ni du siège de la Mici, mais de deux facteurs : la dénutrition et la corticothérapie, notamment chez l’homme. Les corticoïdes exposent, au cours des Mici, à une perte annuelle osseuse de 6 % au niveau du rachis (1 % après arrêt des corticoïdes) et de 9 % au niveau du col fémoral. Leur rôle peut, en fait, être difficile à dissocier de l’activité inflammatoire de la maladie et de sa sévérité ; une élévation de l’ostéoprotégérine sérique, peut-être réactionnelle à l’accélération du remodelage osseux par les cytokines pro-inflammatoires issues de l’intestin, a été récemment rapportée, notamment au cours de la MC.
Cliniquement, l’ostéoporose est très souvent et longtemps cliniquement muette. Les douleurs osseuses y expriment en règle une fracture, notamment vertébrale. La fréquence des fractures est significativement augmentée par rapport à la population générale dans plusieurs travaux, notamment une vaste étude canadienne de 6 027 cas de Mici. Le risque fracturaire serait plus élevé dans la MC que dans la RCH et, pour certains, ne serait même augmenté que dans la MC : les fractures semblent surtout vertébrales chez les jeunes adultes (moins de 30 ans dans un cas sur 3) et sont cliniquement muettes 9 fois sur 10.
La pathogénie de l’ostéoporose des Mici relève principalement de la corticothérapie (dose et durée) en imbrication avec l’activité inflammatoire de la maladie et avec des cofacteurs de risque (antécédent familial, dénutrition et/ou immobilisation prolongée, âge > 50-60 ans, ménopause, hypogonadisme chez l’homme, déficit d’apport en vitamine K). Une carence d’apport calcique et vitaminique D augmente le risque fracturaire (col du fémur notamment).
L’ostéoporose des Mici, classiquement à bas niveau de remodelage osseux, peut être à haut niveau de remodelage, notamment dans les formes actives, corticorésistantes ou corticodépendantes. Le dépistage systématique par ostéodensitométrie ne concerne pas tous les malades ; il est justifié dans l’année qui suit le diagnostic de Mici, s’il y a un ou plusieurs cofacteur(s) de risque d’ostéoporose, ou en cas de corticothérapie (prévue ou actuelle) de plus de trois mois. En cas d’ostéopénie, bilan phospho-calcique et dosage de la 25-OH-vitaminémie D sont justifiés.
L’ostéomalacie, conséquence classique du déficit en vitamine D, est rare (moins de 5 % des cas) au cours des Mici, même si le taux sérique de 25-OH vitamine D y est occasionnellement bas ; elle s’observe surtout en cas de résection étendue du grêle avec compensation vitaminique D insuffisante, de pullulation microbienne intraluminale au-dessus de sténoses crohniennes chroniques, ou de cholangite sclérosante associée et sévère.
Le traitement de l’ostéopénie, notamment de l’ostéoporose, au cours des Mici est d’abord préventif, consistant à :
1. faire bon usage des corticoïdes en termes de dose et de durée, en se rappelant que : a) le risque de fracture, outre une susceptibilité individuelle, apparaît au-dessus de 15 mg/j de prednisone au long cours (études faites au cours de l’asthme) et d’une dose cumulée de 30 g, et que le risque d’ostéopénie commence au-delà de 7,5 mg/j de prednisone au long cours (études faites dans la polyarthrite rhumatoïde) ; b) le budésonide expose au même risque d’ostéopénie que la prednisone ou la prednisolone, sauf chez les patients jusque- là vierges de corticothérapie chez qui il induirait une moindre perte osseuse ;
2. savoir discuter des alternatives (immunosuppresseurs, infliximab) dans les Mici sévères ; l’infliximab améliore les variables d’ostéodensitométrie et les marqueurs de formation ou de résorption osseuse chez les patients maintenus en rémission d’une MC réfractaire traitée par les corticoïdes ;
3. prescrire un supplément oral de calcium et de vitamine D en cas de cofacteur(s) de risque d’ostéopénie et lors de toute corticothérapie, d’autant qu’une carence d’apport est fréquente au cours des Mici ; les doses préventives nécessaires de vitamine D (400-800 UI/j), surtout définies dans la polyarthrite rhumatoïde et l’ostéoporose post-ménopausique, pourraient aller dans les Mici jusqu’à 800 à 1 000 UI (sous surveillance de la calcémie), en association à 1 000 mg/j de calcium-élément chez l’homme de moins de 50 ans et la femme non ménopausée et à 1 200 mg/j dans les autres cas ;
4. traiter les cofacteurs d’ostéopénie : hormonothérapie substitutive en cas d’ostéoporose postménopausique, à mettre en balance avec les risques cardio-vasculaires et de cancer du sein ; traitement de l’hypogonadisme chez l’homme ; mobilisation et exercice physique, toujours utiles même si le niveau de preuve de leur efficacité n’est pas optimal.
Le traitement curatif de l’ostéopénie et de l’ostéoporose des Mici peut notamment faire appel aux bisphosphonates, bien que cette indication, établie pour l’ostéoporose postménopausique ou cortisonique, n’entre pas dans le cadre de l’AMM. L’expérience tirée de ces dernières situations est en faveur, dans les Mici, de l’alendronate ou du risendronate chez les ostéoporotiques et les ostéopéniques en corticothérapie et/ou ayant des cofacteurs de risque ; leur usage systématique, notamment lors d’une corticothérapie brève chez le sujet jeune, est encore discuté. La parathormone, étudiée dans l’ostéoporose post-ménopausique, n’a pas fait l’objet d’évaluation spécifique au cours des Mici.
2. Autres manifestations ostéo-articulaires, rares
Elles regroupent :
–les nécroses osseuses avasculaires aseptiques: vues dans 0,5 % à 4,3 % des Mici, elles évoquent cliniquement un rhumatisme entéropathique mais de localisation atypique (tête fémorale, tête humérale), et ont pour cause majeure la corticothérapie (souvent à dose élevée – mais le risque commence dès 25-30 mg/jour –, et – mais pas toujours– prolongée), volontiers associée à des cofacteurs de risques tels que sexe masculin, hyperlipémie et/ou éthylisme chronique ;
–les ostéoarthropathies hypertrophiantes, le plus souvent à type d’hippocratisme digital isolé et asymptomatique (jusqu’à 38 % des MC et 15 % des RCH), rarement de périostose ou de périostite engainante, source de douleurs périarticulaires intenses et continues ;
– le rare syndrome Sapho (Synovite, Acné, Pustulose palmo- plantaire, Hyperostose, Ostéite aseptique) dont 13 % des cas s’associeraient à une Mici ;
–de rares cas de polychondrite chronique atrophiante ;
–de rares arthrites (coxites notamment) et/ou ostéites septiques, compliquant une translocation intestinale bactérienne et/ou une infection des parties molles de voisinage (abcès abdomino-pelviens ou musculaires et fistules d’origine intestinale) au cours de la MC) ;
–les exceptionnelles arthrites spécifiquement granulomateuses (coxite notamment) au cours de la MC ;
–les rares arthropathies accompagnant l’amylose de type AA, complication elle-même rare mais grave de la MC ;
–des arthralgies d’origine médicamenteuse, rares mais décrites avec la ciclosporine, l’azathioprine, la 6-mercaptopurine, l’infliximab (maladie sérique ou lupus induit) ou avec le sevrage cortisonique, et des tendinites et périarthrites avec la ciprofloxacine ;
–chez l’adulte, un déficit statural par retard de croissance lié à une Mici ayant débuté dans l’enfance ou l’adolescence est de nos jours extrêmement rare en Europe, contrairement à ce qu’on peut encore observer dans d’autres affections digestives telles que la maladie coeliaque de l’adulte.
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