«T OUS les patients ne sont pas vieux et décatis, et pour être médecin, on n'en est pas moins homme ou femme. De là surgissent des tentations auxquelles les uns et les autres sont exposés, en transgressant gravement un interdit absolu, s'ils y cèdent. ».
Voilà, résumé par son auteur lui-même - le Pr Bernard Hoerni, président de la section « éthique et déontologie » du Conseil national de l'Ordre des médecins -, l'objet d'un rapport sur la pratique médicale et la sexualité, « un sujet récurrent, mais encore tabou il y a dix ou quinze ans », selon le Pr Hoerni.
La pratique médicale « expose à des contacts intimes susceptibles de dégénérer en relation sexuelle ». Ce qui est, bien sûr, totalement interdit. « Si cela va sans dire, peut-être cela ira encore mieux en le disant », note l'auteur. Difficile à évaluer, l'incidence des « écarts » est en augmentation apparente, entraînant des sanctions aggravées, « probablement en raison d'une évolution vers une moindre tolérance à la fois des victimes, du public et du corps médical ».
La section disciplinaire du Conseil national de l'Ordre des médecins a été confrontée à une quarantaine d'affaires de ce type au cours des dix dernières années, soit quatre affaires par an. Aux Etats-Unis, sur 1 % des praticiens sanctionnés chaque année, 10 % des sanctions sont motivées par une conduite sexuelle inappropriée. Psychiatres et gynécologues seraient plus exposés que d'autres. « Il y a de tout parmi les plaintes, explique le Pr Hoerni. Des situations parfois complexes touchant à l'inceste. Certaines plaintes sont tout à fait justifiées, d'autres moins. La pratique médicale suscite des gestes qui peuvent être mal interprétés. Le médecin doit dire ce qu'il fait et pourquoi il le fait. »
Des situations à risque
L'examen clinique se fait en général sur un patient dénudé et comporte des contacts intimes entre mains et doigts du praticien et régions sensibles du corps du patient : par exemple, « examen des seins chez la femme, des parties génitales avec touchers pelviens dans les deux sexes, mais aussi autres zones érogènes selon les individus ». Des gestes qui peuvent entraîner des tentations chez le médecin ou chez le patient et conduire à des situations « funestes » que l'auteur envisage dans son rapport : « Patiente habituelle, séduisant involontairement un homme médecin qui va se laisser aller à un viol caractérisé, éventuellement précédé par une "prémédication" (médicamenteuse, par hypnose ou persuasion) de la patiente ; patiente ordinaire, sollicitée ou agressée par un médecin dérangé ; patiente consentante, voire provocatrice, invitant à un rapport éventuellement considéré comme thérapeutique ; femme médecin harcelée par un patient masculin. » L'auteur précise que « d'autres situations sont possibles en relation homosexuelle ». Dans ce type de situation, certains contacts sont mis en cause (palpation un peu appuyée, caresse prolongée, sur une région génitale, mammaire, buccale, etc.). Parmi les actes incriminés, le rapport cite « le viol caractérisé, le rapport par consentement mutuel, sous prétexte thérapeutique, demandé par l'un ou proposé par l'autre, ou par plaisir apparemment dissocié de l'acte médical, le contact ambigu ».
Néanmoins, « rares » sont les médecins qui cèdent à ces tentations. Le Pr Hoerni insiste sur les chiffres : « 4 affaires par an pour près de 200 000 médecins ». Toutefois, les médecins auraient, selon lui, le sentiment d'être « plus exposés qu'auparavant à des accusations sans fondement ». Certains redoutent de procéder à des examens intimes. Ainsi, un médecin généraliste homme, jeune ou moins jeune, hésitera et éventuellement renoncera à faire un examen gynécologique ou un frottis vaginal en préférant envoyer pour cela la femme à une consur spécialisée ou à un laboratoire.
Le rapport de l'Ordre évoque toute une série d'actes auxquels le médecin peut être amené à renoncer. Par exemple, une femme médecin procédera à un examen incomplet d'un homme qui lui-même s'abstient de lui signaler qu'il « souffre d'une grosse bourse ». Ces réticences « peuvent s'accentuer vis-à-vis d'enfants accompagnés ou non, en un temps où l'on parle beaucoup de pédophilie ». « Elles contrarient, conclut l'auteur, l'approche globale d'un patient, évoquant notamment sa sexualité, comme cela paraît pourtant souhaitable ».
Une formation théorique et pratique
L'une des premières recommandations du Pr Hoerni est d'inviter les médecins à prendre conscience de ces problèmes. Ils ne doivent plus être tabous, mais, au contraire, « reconnus pleinement ». « Tout échange sexuel entre un soignant et un patient est une transgression grave, identifiée en tant que telle et réprimée pénalement dans certains Etats », écrit-il.
Le Pr Hoerni suggère, en outre, de sensibiliser les médecins à ces questions à travers la formation initiale et continue. Selon lui, « cela devrait faire partie d'un programme obligatoire de formation théorique et pratique ». « Les médecins doivent être clairement informés sur l'existence de l'interdit, mais ils devraient aussi bénéficier d'une formation pratique sur les conduites à tenir dans des situations délicates. »
En Hollande, l'apprentissage des touchers pelviens répond à un protocole précis : les étudiants examinent des volontaires sains sous le contrôle d'un moniteur qui guide leur comportement face à une réaction imprévue. « Les médecins peuvent être exercés à voir un patient dénudé, à le soumettre à des contacts délicats en considérant tout cela comme naturel et ne devant en aucun cas aller plus loin », lit-on dans le rapport. Il est enfin conseillé au praticien d'avoir « un comportement et une attitude de bonne tenue, avec une réserve de bon aloi, sans familiarité déplacée », d'éviter de demander aux malades de se déshabiller inutilement, d'éviter certains regards « à des moments critiques du déshabillage », d'accompagner l'examen de paroles « indiquant ou expliquant ce que l'on va faire, ce que l'on fait, ce que l'on trouve pour réduire les risques de surprise ou d'interprétation tendancieuse de la personne examinée et se donner une contenance », de « détecter des sujets ou des situations à risque ». « En somme, résume l'auteur , il faut apprendre à reconnaître et à respecter la bonne distance dans la relation de soins. »
Cependant, « toute transgression de l'interdit appelle une sanction. Toute plainte du patient doit être prise en considération pour laisser les instances disciplinaires intervenir comme elles le doivent ». L'auteur rappelle qu'il est tout aussi nécessaire de « défendre des médecins qui peuvent être victimes de calomnies ».
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