CONTRAIREMENT aux autres agences de sécurité sanitaire, l'InVS n'est pas née avec la loi Kouchner du 1er juillet 1998. Le Réseau national de santé publique (Rnsp), créé en 1992, était le précurseur de cette instance qui recueille les données épidémiologiques sur la santé des Français, analyse l'évolution des risques sanitaires, détecte tout événement de nature à modifier l'état de santé de la population, sonne l'alerte en cas de menace et identifie dans l'urgence les causes d'une altération de la santé publique.
L'institut se distingue par le fait qu'il « internalise l'expertise, sans recourir à des experts extérieurs », comme le souligne le Dr Martine Ledrans, responsable du département santé environnement. Ce sont donc des fonctionnaires maison, au nombre d'une cinquantaine, dotés d'un statut depuis 2003, épidémiologistes, évaluateurs de risques, biostatisticiens, météorologistes, toxicologues, médecins, pharmaciens, ingénieurs, qui y assurent une expertise très interdisciplinaire.
Au sein du département des maladies chroniques et traumatiques (en fait, tout ce qui ne relève pas de l'infectiologie), ils sont encore une trentaine à assurer cette fonction de vigie sanitaire. Là aussi, la règle, c'est l'expertise interne. « Quitte, précise la responsable du département, le Dr Juliette Bloch, à ce que nous contractions des partenariats extérieurs, avec des réseaux de soins ou des associations de patients, en veillant toujours à bien nous coordonner avec des "concurrents" éventuels, qui travaillent sur les mêmes sujets que nous. Quand on fait de la surveillance, on ne travaille jamais seul. »
Tous ces professionnels, dont le déroulement de carrière est maintenant garanti avec neuf semaines de congés annuels et la RTT en prime, sont recrutés sur appel d'offres et doivent disposer, en plus d'un important bagage de connaissances scientifiques liés à certaines pathologies, d'une connaissance des métiers d'enquête. « Nous sommes assez attractifs, estime le Dr Bloch, comparés à des organismes comme l'Inserm, pour ne pas connaître de difficultés de recrutement. Une restriction demeure cependant, pour les postes de seniors, dans des secteurs très pointus où ils sont peu nombreux et où on se les arrache. »
Les deux grands volets de l'expertise.
A l'intérieur de chacun des départements et des unités de l'InVS, l'expertise s'organise autour de deux grands volets : les actions programmées de surveillance (air, eau, toxiques, pour le département santé-environnement, nutrition, accidents de la vie courante, diabète, maladies rares pour le département du Dr Bloch) ; les actions non programmées (saisines de la tutelle, le ministère de la Santé, sur des sujets en lien avec l'actualité sanitaire). Evidemment, entre les deux volets, les choix peuvent être délicats. « Il ne s'agit jamais de tout arrêter pour répondre en catastrophe à une question posée par la tutelle, explique le Dr Ledrans, mais des arbitrages doivent être faits pour adapter les moyens aux urgences réelles ou supposées telles. Le retentissement médiatique entre en ligne de compte, la communication étant devenue un élément important dans nos expertises. » Somme toute, c'est dans ces arbitrages que se fait la démocratie sanitaire.
Le risque pandémique.
Toutes les agences ont leur époque héroïque. Si, à l'Afssa, l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine a été particulièrement mémorable, à l'InVS, le souvenir de la canicule 2003 est, si l'on ose dire, cuisant : d'aucuns ont alors fait grief à l'institut de ne pas avoir pris en compte des indicateurs de crise que nul programme ne surveillait, bref, de ne pas avoir prévu l'imprévisible.
Cet automne, c'est bien sûr la surveillance prépandémique aviaire qui mobilise les experts de la veille. A la tête de l'unité des maladies à prévention vaccinale, au sein du département des maladies infectieuses, le Dr Daniel Lévy-Bruhl ne découvre pas le risque attaché au virus H5N1 : « Voilà dix ans que nous avons commencé à élaborer des plans de lutte contre une pandémie grippale », précise-t-il. Les six épidémiologistes que compte son unité sont donc à la croisée de leurs deux missions : « Le travail de fond, avec la mise au point de plans mûris au fil des ans, et la réactivité instantanée en fonction de la détection de toute situation anormale, en particulier de tout phénomène épidémique. »
« Entre les deux, poursuit-il, notre équipe peut être souvent tiraillée, il lui faut faire acte en permanence du maximum de souplesse, en liaison avec les Ddass et les Cire, les unités Inserm et les réseaux concernés, pour réaliser les modèles et procéder aux évaluations médico-économiques. »
La pression médiatico-politique qui s'affiche depuis la rentrée sur ce sujet ne complique-t-elle pas la tâche des experts ? Le Dr Lévy-Bruhl affirme pour sa part s'en réjouir. « Les pouvoirs publics ont réussi à faire sauter le verrou qui freinait jusqu'à présent l'information au motif qu'il ne fallait pas prendre le risque d'affoler les populations. En apprenant ainsi que le risque pandémique est loin d'être faible, le public se prépare à aborder en toute connaissance de cause les débats très sensibles autour des mesures de restriction des mouvements et de la nécessité d'abolir des priorités concernant les populations cibles des traitements préventifs et curatifs qui risquent d'être en quantité limitée. » Le débat démocratique sanitaire est largement ouvert.
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