P EUT-ETRE, sans cette invite, Daniel Mesguich ne se serait-il pas intéressé de si près, aujourd'hui, à Jean-Paul Sartre, peut-être l'aurait-il gardé en tête comme une lecture d'adolescence. Patrice Martinet, directeur du théâtre de l'Athénée, a voulu rendre hommage à Louis Jouvet, mort il y a près de cinquante ans, le 16 août 1951, en demandant à un certain nombre de metteurs en scène de monter les textes qu'avait choisis le « patron ». Parmi eux « le Diable et le Bon Dieu », qui fut d'ailleurs le dernier travail de Louis Jouvet.
« La pièce traite entièrement des rapports de l'homme à Dieu, ou, si l'on veut, des rapports de l'homme à l'absolu... », disait Jean-Paul Sartre en évoquant ce texte dans lequel il voyait « un complément, une suite des "Mains sales" ». De Hugo, bourgeois, à Goetz, déchiré par sa bâtardise entre aristocratie et glèbe, Sartre interroge l'impuissance de l'homme à s'incarner dans une quête absolue, bien comme mal : à la fin, il n'y a que des morts. La stérilité spirituelle.
Sartre s'amuse. Il joue du double, du balancement. Comme Mesguich lui-même, il est fasciné par le jeu du « deux », par le miroir et le renversement et il y a, dans « Le Diable et le Bon Dieu » - exhibé dès le titre, d'ailleurs - une mécanique de la dualité qui passe par la duplicité. Goetz s'arrange pour que les dés lui imposent une voie qu'il a choisie comme un défi de plus, du mal au « bien absolument pur ».
Il y a un style Mesguich, immédiatement reconnaissable. Un art des lumières, des mouvements, des passages, une couleur particulière du spectacle qui saisit. C'est le metteur en scène lui-même - belle voix, comme on sait - qui présente chaque tableau, didascalies qui, loin de morceler la représentation, lui donnent son liant.
Pas de décor ou si peu. Les échelles - du Château d'un autre temps ? - se sont pas malvenues qu'il utilise avec parcimonie, comme il le fait de la lumière.
Pour « le Diable et le Bon Dieu », marqué par des interprètes que Mesguich est bien trop jeune pour avoir vus, Brasseur puis Périer, le metteur en scène s'appuie sur une distribution remarquable. Ce grand théâtre de débat, de la dispute, ce grand théâtre un peu démonstratif comme Sartre l'aime - ce qui le sauve, c'est qu'il est blagueur, notre philosophe, joueur - ce grand théâtre donc ne peut s'accomplir que s'il est porté haut par les acteurs.
Christophe Maltot est un Goetz très convaincant, très maître de son jeu, mobile, inquiétant et vulnérable à la fois. Le Nasty de William Mesguich est parfaitement tenu ; lui aussi donne des moirures attachantes et paradoxales au personnage. Laurent Montel, Daniel Berlioux - l'aîné en expérience -, Aziz Kabouche, Frédéric Cuif et tous leurs camarades sont très bien. Anne de Broca, Catherine, vitale à souhait, tient bien son personnage, tandis que Sophie Carrier prête à Hilda son aristocratique élégance et une intelligence souveraine du plateau.
Il y a en tout cela une alacrité, une allégresse qui n'interdisent jamais la réflexion ni l'émotion mais rendent au plus près ce qu'il y a de malicieux et de provocateur, par-delà le discours, en Sartre.
Théâtre de l'Athénée-Louis-Jouvet, à 19 h le mardi, à 20 h du mardi au samedi. En matinée, les 4 et 11 février, à 16 h (01.53.05.19.19). Durée : 3 h 15, entracte compris. Jusqu'au 11 février.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature