I NTERLOCUTRICE privilégiée des jeunes au sein de l'institution scolaire, l'infirmerie est consultée au moins une fois par an par 43,4 % des 5 643 000 collégiens et lycéens, selon une enquête épidémiologique, conduite par le Dr Xavier Pommereau, psychiatre à Bordeaux, et Marie Choquet, chercheuse à l'INSERM, auprès d'une population représentative de 1 000 adolescents de 21 établissements d'enseignement secondaire de la Gironde.
Dans deux cas sur trois, il s'agit de filles qui expriment une « demande corporelle », évoquant mal de tête ou douleur au ventre. Surtout, 13,3 % des consultants (19 % des filles et 8,7 % des garçons) ont tenté de se suicider au cours de leur vie, alors que dans la population scolaire globale des 11-20 ans la proportion n'est que de 6,5 % (8 % des collégiennes et lycéennes).
Pour l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, qui les rapporte, ces données sont une mine d'enseignements pour la prévention de la crise suicidaire. Elles sont rendues publiques à la veille de la journée de mobilisation organisée le 5 février par l'Union nationale pour la prévention du suicide (« le Quotidien » du 25 janvier).
Dans l'ensemble, les consultants des infirmeries scolaires ne se distinguent pas des autres élèves par leur mode de vie, leurs fréquentations ou leurs sorties.
Le tabou du suicide
En revanche, on peut parler de « multiconsultants », note le Dr Pommereau, puisque 1 sur 5 est venu plus de 10 fois voir l'infirmière entre septembre et le moment de l'étude INSERM, en mars-avril. Ils sont davantage portés sur la consommation de tabac, d'alcool et de drogues, et connaissent divers problèmes psychologiques et difficultés en général. « En somme, ce n'est pas par hasard s'ils vont et reviennent à l'infirmerie », commente le praticien.
Mais s'ils parlent volontiers de leurs troubles somatiques, les thèmes de la vie quotidienne, comme les questions scolaires, relationnelles, familiales ou sociales, ne sont abordés que rarement. Il semble, d'ailleurs, que cette réticence vis-à-vis de sujets « sensibles » provoque une certaine gêne chez les infirmières. « Quoiqu'on en dise, le tabou du suicide est encore très actif » Or il apparaît que le fait de parler du suicide améliore considérablement, chez le soignant, la perception du risque (antécédents de fugues ou d'autres conduites de rupture, troubles alimentaires, violences subies, absentéisme, repli sur soi, consommation de psychotropes). Les trois quarts des suicidants sont alors repérés, contre 5 % quand le thème suicidaire n'est pas évoqué.
Pour autant, l'évocation systématique du suicide au cours de l'entretien infirmier ne suffit pas. Il convient d'éviter l'approche de type « interrogatoire ». Enfin, soulignent les chercheurs, dès lors que l'infirmière détecte un état de crise suicidaire, elle propose (63 %) « une orientation adaptée », vers un médecin scolaire, un généraliste, et, à 83 %, vers un psychiatre, tandis que, dans 18,5 % des cas, rien n'est suggéré.
En définitive, il importe d'utiliser encore mieux qu'elle ne l'est l'infirmerie, insiste le Dr Xavier Pommereau. Des collèges n'en disposent même pas en 2001 et des lycées doivent se contenter d'infirmières à mi-temps ou à cheval sur plusieurs établissements. Mais que faire avec une infirmière pour 2 000 élèves ? « Formons mieux celles qui sont en poste à la psychopathologie des jeunes, à la reconnaissance des indicateurs majeurs de risque suicidaire que sont la fugue et la violence sexuelle subie, répond le spécialiste girondin, et définissons, dans le même temps, une grille d'évaluation du mal-être adolescent. »
En outre, l'infirmerie, comme « lieu de parole et d'observation », doit avoir la porte ouverte sur la médecine scolaire. Pour ce qui est de l'orientation vers le psychiatre, le Dr Pommereau fait observer que les trois quarts des élèves qu'adresse l'infirmière au spécialiste sont déjà entre les mains de ce dernier.
Quant à tous ceux qui vont mal, mais ne fréquentent pas l'infirmerie scolaire, « établissons des passerelles avec les éducateurs sportifs et les personnels s'occupant d'informatique, car ils sont à leur contact », conclut le médecin.
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